dimanche 17 août 2014

Synthèse de l'atelier Transit City "ET SI LES VILLES REPRENAIENT LE POUVOIR FACE AUX ÉTATS ?" (et du livre "La Ville Médiévale")


Lors des toujours excellents ateliers Transit City, j'ai pu assister à l'exposé/dialogue brillant de deux intervenants aux univers très différents se recoupant autour du thème de la ville aujourd'hui et à l'époque médiévale.  
 
 Introduction
  • L’économie du territoire va vers des relations entre grandes régions urbaines plutôt qu'entre états. 
  • La polarisation des richesses s’ancre dans les métropoles mondiales, 600 villes captent 60% de la richesse. 
  • Les grandes métropoles ont la volonté de plus en plus grande de s’émanciper et s’autonomiser. Par exemple, sur le climat, les villes prennent le pas sur les nations.  
  • Les plus grandes métropoles souffrent d’un effet de taille critique, ce sont les métropoles « moyennes » qui ont le plus de marge de manœuvre pour croître. 
L'enjeu était de confronter  la situation actuelle des villes dans le monde à celle de l'Europe médiévale qui "faisait monde" à l'échelle des communications et des transports de l'époque. 

Beaucoup font le rapprochement historique entre la démocratisation d'internet actuelle et l'impact de l'invention de l'imprimerie à la renaissance. 

1. Les villes prennent le pouvoir - Jean HAENTJENS, urbaniste et auteur de « La Ville au secours des Etats » (vision française du développement des métropoles intermédiaires: Bordeaux, Nantes….) 



Les axes de développement des métropoles intermédiaires sont décrit par Jean HAENTJENS

  • Création innovation dans leur gestion urbaine
  • Attractivité résidentielle permettant de drainer les activités tertiaires
  • Coûts urbains (prix moins élevés) compétitifs par rapport aux grandes métropoles
  • Économie localisée (déjà 20% du PIB) et peut être plus avec la transition énergétique 
Les différentes équations des villes actuellement qui amènent à une revalorisation de l'échelon local:  

  • Fractures sociales + spatiales => solution locale: permet d'agir sur l'aménagement du territoire et des solutions sociales de proximité
  • Énergies renouvelables => gestion locale: nécessité par la besoin de gestion de l’espace, pertinente au niveau local. Au Danemark, la gestion énergétique audacieuse a permis l'émergence de centrales électriques locales     
  • Rigidité de l’État => Souplesse des villes et agglomérations: permet l'expérimentation et l'innovation car à plus petite échelle 
  • Distanciation entre gouvernants et citoyens => échelle démocratique adaptée
    • Gouvernance => plus proche et direct vis à vis du citoyen 
    • Transversalité => approche locale plus propice à la transversalité alors que l’approche État est en silo articulé autour des différents axes social, équipements, éducation,…
    • Résonance et cohérence d’une agglomération en termes de parangonnage et d'entraînement  

Jean HAENTJENS suite pour illustrer son propos l'expérience Darwinn à Bordeaux  http://www.darwin-ecosysteme.fr/

   

En conclusion de son intervention, pourquoi les retours des villes? 

  • Politique - État en perte de vitesse qui se débat dans un contexte de réductions budgétaires et de perte de légitimité dans un contexte globalisé
  • Managérial - La structure adaptée aux nouvelles problématique est plus proche de la "PME " pour être souple et réactif lorsque l'Etat et ses lourdeurs inhérentes ne sont plus forcément capable d'innover. L'échelon local se retrouve approprié pour l'expérimentation locale. 
  • Conceptuel -  Décalage entre local et global - pour Jean HAENTJENS, une approche uniforme niveau des Etats ne correspond plus forcément à la réalité. Vivre par exemple avec un SMIC en Limousin permet un meilleur niveau de vie qu'en Région Parisienne, en ce sens, les politiques publiques nationales sont caduques. 
2. L'histoire des villes européennes à l'époque médiévale nous donnent des clefs de lecture sur l'époque actuelle  - Patrick BOUCHERON, Professeur d’histoire du Moyen-Âge à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne et auteur - entre autres - de « Histoire de l’Europe urbaine - La Ville Médiévale  » (synthèse adaptée à la suite de ma lecture du livre mentionné). 

  • Contexte médiévale: Une époque de transition/renouveau post antiquité
    • Les villes européennes actuelles sont un fait médiéval. Elles sont le point de départ après la rupture avec la cité antique que l’on peut dater aux environs du VII ème siècle avec le déclin des aqueducs et de leur entretien (Rome passe de 1 millions  dans l’antiquité à 40 000 hab au XIV ème siècle). 
    • Elles s’inscrivent dans une période instable d'un point de vue politique, culturel, économique et représente l'évolution vers les états nations que nous connaissons aujourd'hui. 
    • Au sortir de l'antiquité, l'église reste le seul acteur majeur d'organisation des villes. 
    • A l’exception des villes italiennes, l’élite se ruralise autour des seigneuries. Les cours des monarques sont itinérantes et non basées dans une capitale.  
    • L'ensemble des structures politiques et sociales sont à réinventer ce qui laisse le champs libre à l'innovation.
  • La ville médiévale "start up" de l'Etat moderne
Patrick Boucheron utilise la métaphore du lièvre (les villes) et la tortue (les états). Les villes médiévales sont les start up, souple et innovante dans la manière de gouverner et s’organiser. 

Les différentes étapes telles que je les ai comprises sont apparues par source de nécessité au cours des siècles médiévaux. Nous simplifierons ici les différences régionales pour aller vers les traits communs au sein de l'Europe chrétienne. 
    • La naissance politique 
Très tôt, au sein des villes que s'organise un nouveau vivre ensemble avec la mise en place de ce que nous appellerions aujourd'hui une gouvernance. A l'instar des guildes, confréries ou autres corporation de métiers, les villes médiévales s'organisent pour gérer la communauté des habitants. Trois niveaux dans les instances politiques se retrouvent sous diverses noms d'une ville à l'autre : 
- Assemblée générale des habitants 
- Commun conseil qui le représente et détient le pouvoir de décision 
- Consulat ou maire qui possède le pouvoir exécutif 

Il s'agit d'une structure politique hors aristocratie, de bourgeois où les enjeux de pouvoirs sont liés aux enjeux économiques: marchands, artisanaux,... 
    • Jusqu'en 1280 Reprendre possession de l'espace public
Jusqu'en 1280, l'enjeu principal est la ré-appropriation de l'espace public à travers la maîtrise des fontaines, auparavant  privatisées par les lignages patriciens. La réorganisation urbaine s'était faite autour des familles riches patriciennes et de leurs affidés dans des formes urbaines fermées, morceaux de villes privés. L'appropriation des fontaines étaient une des formes de domination sociale. Les autorités urbaines vont créer des fontaines, des places publiques en sus des fortifications qui restent les principales infrastructures publiques. L'espace public, géré par les autorités urbaines, devient le coeur de la cité (cf Sienne). 
    • Maîtriser l'écrit et les lois
Toute organisation humaine nécessite la mise en place de loi et de justice, en particulier à partir d'une certaine masse critique. La révolution urbaine des XII et XIII ème siècles s'articule principalement autour de la justice et le droit pour gouverner la ville. A ce titre, les autorités urbaines vont développer des nouvelles compétences en matière juridique principalement et prendre possession de l'écrit: "gouverner la ville, c'est maîtriser l'écrit, le produire, le classer, le diffuser et le conserver."  D'un point de vue intellectuel, il s'agit de s'émanciper aussi de l'institution ecclésiastique mais surtout changer la finalité de l'écrit. 
"En ville s'invente et s'affirme une autre façon de manipuler l'écrit, et donc la mémoire, qui échappe en grande partie au magistère intellectuel de l'église." 
    • 1280-1320, face aux crises, la naissance d'une notion de "service public" 
La première crise de la société urbaine est liée à la crise du féodalisme, elle porte les fondements de l'Etat moderne. Les tensions économiques se font de plus en plus fortes, les épidémies ravageuses et les guerres endémiques frappent durement les populations. On assiste également aux premiers mouvements "sociaux" avec des grèves et des révoltes corporatistes. Les inégalités sont telles qu'il devient nécessaire pour les autorités urbaines, dans une situation explosive, de s'approprier de nouvelles fonctions, lignes directrices du service public actuel, pour maintenir la cohésion sociale.  
      • Développement de la gestion urbaine

Les autorités urbaines élargissent leur champs d'action aux infrastructures en général au delà des fortifications, assainissement, eau potable, espaces publics à l'instar des prérogatives actuelles des municipalités. Des zonages commencent à être mis en place pour les activités polluantes: tanneries, teintures à l'écart des centres urbains. 
      • Création d'une identité "nationale"  

Les municipalités prennent part au sacré et à la construction des cathédrales. Il s'agit pour elles de se hisser symboliquement au niveau des autorités ecclésiastiques et légitimer leur pouvoir. Chaque ville se choisit un saint patron en fonction de leur importance (les grandes villes telle Venise peuvent s'approprier des grands saints, les petites villes des saints secondaires). Il s'agit de fédérer la communauté urbaine dans une appartenance commune à laquelle participent les différentes festivités : processions, carnaval, courses de chevaux, joutes fluviales.... 
Une réécriture de l'histoire est aussi souvent pratiquée pour aller "recréer" des racines antiques ou mythologiques à la ville. On notera le parallèle assez transparent avec la III ème République Française. 
      • Création d'un service public social et santé au delà de l'Eglise 

La notion de "pauvre" devient officielle avec une classification et critères stricts de sélection...La charité chrétienne est organisée avec des hospices et autres structures d'accueil au delà de l'église. Pour les riches, il s'agit d'une approche très utilitaire, la charité envers les pauvres étant le moyen de s'assurer l'accès au paradis. 
L'éducation sera un des seuls domaine où l'église restera prédominante. 
      • Fiscalité et dettes 
Les besoins financiers deviennent importants pour les autorités urbaines qui assurent de plus en plus de missions. Pour Patrick Boucheron, c'est dans les villes médiévales que s'est
inventé la fiscalité moderne avec un nombre incalculable d'expérimentation et d'innovation pour l'imposition des biens ou des citoyens, en termes d'assiettes, de mode de perception...

En particulier, "la fiscalité directe naît en même temps que la communauté urbaine". 
Le pendant est la création d'une dette publique, les municipalités émettent des emprunts, "bons" et autre rentes sous diverses formes avec comme résultat commun le surendettement chronique qui mènera beaucoup de municipalités à la faillite. Dans de nombreux cas, même si ce n'est pas généralisable, c'est le surendettement qui provoquera la perte d'autonomie des villes au détriment des princes et des états en création.    

  • Parallèle entre le statut des villes médiévales et les métropoles actuelles  
    • Gouvernance et démocratie  
La commune est ce que nous a léguée le moyen âge, la ville est une communauté de conjuration (Webber), forme novatrice du vivre ensemble qui fait encore le succès de nos communes actuelles. 
    La ville médiévale est déjà un lieu où s’exprime une forme de démocratie directe avec l’implication des citoyens dans la gestion communale sous des formes variées (par ex. à Sienne, au XIV ème, 1/3 des habitants a déjà exercé une charge élective). 
      Si il n’y a pas de ligues urbaines (les ligues telles La Hanse est une ligue de marchand), il existe déjà une espèce d'intercommunalité avec des "fonctionnaires" itinérants permettant diffusion des connaissances, expériences et bonnes pratiques. 
        Le contre exemple, Marseille dont la mauvaise gouvernance transcende les siècles (au XVIIème, Louis XIV agit déjà délocalisé les galères à Toulon en raison des dérives mafieuses de Marseille). Une des explications est que Marseille n’a jamais été une ville médiévale mais est une cité. 
          • Le laboratoire 
        Les villes ont été des creusets d’innovations et de nouvelles idées dans lesquelles sont venus se servirent les états/empire en construction pour essaimer ensuite à plus grande échelle, celle du territoire.   
          • Les forces et les limites 
        En termes de forme urbaine mais aussi d’organisation, la ville médiévale est harmonieuse, assemblage polymorphe. A contrario, la ville de la renaissance va introduire la symétrie comme idéal, approche uniformisante qui va préfigurée les états.    
          La limite de la ville est la ville, les avancées se limitent aux frontières de la ville géographique et humaine. Ce phénomène se décline aussi à l’intérieur de la ville fait de communauté accolées chacune avec ses limites et ses règles. Il est intéressant noter que nombres de philosophes, Rousseau en premier lieu je crois, pensaient que l'expérience démocratique ne  
            • Avant les villes, les monastères 
          Les monastères sont eux mêmes les start up des villes et ont joué un rôle primordial dans les diffusions et la circulation des idées et des innovations. 
            A ce titre, on retrouve les mêmes repères d’un monastère à l’autre et d’une ville à l’autre comme aujourd’hui on retrouve les mêmes hall d’aéroports à travers le monde. Comme Barack obama est à un clic du tous les citoyens du monde, à l’époque de Marco Polo, avec un traducteur arabe, toutes les communications sont possibles donc en 2 clics! 
              • Le rôle de l'innovation technique 
            Il est intéressant de noter que l'ensemble de cette évolution des villes médiévales s'est faite hors innovation technique majeure. Selon Patrick BOUCHERON, l’innovation technique majeure du moyen âge est le moulin qui in fine refera le lien entre ville et campagne. 

            • Forme urbaine médiévale et actuelle? 
            Dans le dialogue avec Jean HAENTJENS, qu'est ce que nous apprend le parallèle entre la ville médiévale et la ville actuelle? Pour Patrick Boucheron, c'est  une question  assez ambivalente, à la fois:   
              • Un espoir: la communauté urbaine est un horizon du pouvoir acceptable pour le citoyen, creuset des innovations s'affranchissant des lourdeurs de l’Etat. 

              • Une crainte: la reprise d'indépendance des villes porte en soit le risque de la création d'enclaves extraterritoriales avec leurs limites excluantes pour le reste des citoyens, contraire aux principes  d’égalité entre les hommes.
              Dynamique à l’oeuvre? 

              In fine, je me suis permis de poser une question qui me taraudait :  Si les villes du moyen âge ont été une étape vers la création des Etats Nations, le retour du pouvoir vers les villes est-il une étape vers une nouvelle ère? la fin des états nations? 

              Pour Patrick Boucheron, l’histoire de l’humanité est faite de respiration, lorsque les villes s'enrichissent et concentrent les nouvelles idées, il y a souvent une entité plus forte qui vient ensuite se nourrir de ces idées et les essaiment.  Nous ne conclurons donc pas en termes de prospective pour savoir quelle sera cette entité plus forte.