Après 7 ans de vie souffreteuse l'idée d'une écotaxe sur les circulations poids lourds est enterrée.
C'est bien sur un constat d’échec collectif à plusieurs titres:
Un renoncement à toute politique ambitieuse de modification des conditions économiques du transport de fret
Une perte de financement pour les transports collectifs (depuis 10 ans, tous les mécanismes qui prévoyaient de mettre en place un financement stable des infrastructures ont été détricotés)
Comme dirait les économistes, une inconstance des règles du jeu ne permettant pas aux agents économiques de modifier leur comportement
Une lumière crue sur le pouvoir intact du lobby pétrolier et automobile
L'Etat, les politiques et lobbys divers et variés ont pu illustrer leur courte vue et l'inconscience coupable vis à vis des enjeux environnementaux.
A cela s'ajoute surtout la fin de la dernière trace de crédibilité de l'action publique. En effet, voilà une loi votée à l'unanimité, un processus approuvé par les plus hautes autorités de l'Etat (même si ce dernier à travers un PPP était fort discutable), une entreprise désignée, des investissements réalisés, des portiques installés,... tout ça pour un abandon pur et simple.
Au delà de la gabegie financière dans cette période de vache maigre (à la louche je dirais que cela se comte avec au moins 8 ou 9 zéros), comment prendre au sérieux tout engagement de l'Etat?
A quoi rime aujourd'hui le contrat social entre citoyen et État, pour aujourd'hui, pour demain, et encore plus après demain. Nous votons une loi sur la transition énergétique, aura t elle plus de 2-3 ans d’espérance de vie? Tout ça ne m'inspire rien de bon. Je n'ose pas faire le parallèle avec l'enjeu des retraites.
De l'art d'avoir raison et de ne pouvoir que constater que nous allons dans le mur. Nous nous en souviendrons plus tard quand les conséquences seront encore plus prégnantes. N'attendons pas plus.
Dennis Meadow. (Photo Bruno Charoy pour Libération.)
INTERVIEW
Dès
le premier sommet de la Terre de 1972, le chercheur américain Dennis
Meadows partait en guerre contre la croissance. A la veille de la
conférence «Rio + 20», il dénonce les visions à court terme et dresse un
bilan alarmiste.
En
1972, quatre jeunes scientifiques du Massachusetts Institute of
Technologie (MIT) rédigent à la demande du Club de Rome un rapport
intitulé The Limits to Growth (les Limites à la croissance).
Celui-ci va choquer le monde. Leur analyse établit clairement les
conséquences dramatiques d’une croissance économique et démographique
exponentielle dans un monde fini. En simulant les interactions entre
population, croissance industrielle, production alimentaire et limites
des écosystèmes terrestres, ces chercheurs élaborent treize scénarios,
treize trajectoires possibles pour notre civilisation. Nous
sommes avant la première crise pétrolière de 1973, et pour tout le
monde, la croissance économique ne se discute pas. Aujourd’hui encore,
elle reste l’alpha et l’oméga des politiques publiques. En 2004, quand
les auteurs enrichissent leur recherche de données accumulées durant
trois décennies d’expansion sans limites, l’impact destructeur des
activités humaines sur les processus naturels les conforte
définitivement dans leur raisonnement. Et ils sont convaincus que le
pire scénario, celui de l’effondrement, se joue actuellement devant
nous. Rencontre avec l’un de ces scientifiques, Dennis Meadows, à la
veille de la conférence de Rio + 20. Comme
environnementaliste, je trouve stupide l’idée même que des dizaines de
milliers de personnes sautent dans un avion pour rejoindre la capitale
brésilienne, histoire de discuter de soutenabilité. C’est complètement
fou. Dépenser l’argent que ça coûte à financer des politiques publiques
en faveur de la biodiversité, de l’environnement, du climat serait plus
efficace. Il faut que les gens comprennent que Rio + 20 ne produira
aucun changement significatif dans les politiques gouvernementales,
c’est même l’inverse.Regardez les grandes conférences
onusiennes sur le climat, chaque délégation s’évertue à éviter un accord
qui leur poserait plus de problèmes que rien du tout. La Chine veille à
ce que personne n’impose de limites d’émissions de CO2, les Etats-Unis
viennent discréditer l’idée même qu’il y a un changement climatique.
Avant, les populations exerçaient une espèce de pression pour que des
mesures significatives sortent de ces réunions. Depuis Copenhague, et
l’échec cuisant de ce sommet, tout le monde a compris qu’il n’y a plus
de pression. Chaque pays est d’accord pour signer en faveur de la paix,
de la fraternité entre les peuples, du développement durable, mais ça ne
veut rien dire. Les pays riches promettent toujours beaucoup d’argent
et n’en versent jamais.
Vous n’y croyez plus ?
Tant
qu’on ne cherche pas à résoudre l’inéquation entre la recherche
perpétuelle de croissance économique et la limitation des ressources
naturelles, je ne vois pas à quoi ça sert. A la première conférence, en
1972, mon livre les Limites à la croissance (dont une nouvelle
version enrichie a été publiée en mai) avait eu une grande influence sur
les discussions. J’étais jeune, naïf, je me disais que si nos
dirigeants se réunissaient pour dire qu’ils allaient résoudre les
problèmes, ils allaient le faire. Aujourd’hui, je n’y crois plus !
L’un des thèmes centraux de la conférence concerne l’économie verte. Croyez-vous que ce soit une voie à suivre ?
Il
ne faut pas se leurrer : quand quelqu’un se préoccupe d’économie verte,
il est plutôt intéressé par l’économie et moins par le vert. Tout comme
les termes soutenabilité et développement durable, le terme d’économie
verte n’a pas vraiment de sens. Je suis sûr que la plupart de ceux qui
utilisent cette expression sont très peu concernés par les problèmes
globaux. La plupart du temps, l’expression est utilisée pour justifier
une action qui aurait de toute façon été mise en place, quelles que
soient les raisons.
Vous semblez penser que l’humanité n’a plus de chance de s’en sortir ?
Avons-nous
un moyen de maintenir le mode de vie des pays riches ? Non. Dans à
peine trente ans, la plupart de nos actes quotidiens feront partie de la
mémoire collective, on se dira : «Je me souviens, avant, il suffisait
de sauter dans une voiture pour se rendre où on voulait», ou «je me
souviens, avant, on prenait l’avion comme ça». Pour les plus riches,
cela durera un peu plus longtemps, mais pour l’ensemble des populations,
c’est terminé. On me parle souvent de l’image d’une voiture folle qui
foncerait dans un mur. Du coup, les gens se demandent si nous allons
appuyer sur la pédale de frein à temps. Pour moi, nous sommes à bord
d’une voiture qui s’est déjà jetée de la falaise et je pense que, dans
une telle situation, les freins sont inutiles. Le déclin est inévitable. En
1972, à la limite, nous aurions pu changer de trajectoire. A cette
époque, l’empreinte écologique de l’humanité était encore soutenable. Ce
concept mesure la quantité de biosphère nécessaire à la production des
ressources naturelles renouvelables et à l’absorption des pollutions
correspondant aux activités humaines. En 1972, donc, nous utilisions 85%
des capacités de la biosphère. Aujourd’hui, nous en utilisons 150% et
ce rythme accélère. Je ne sais pas exactement ce que signifie le
développement durable, mais quand on en est là, il est certain qu’il
faut ralentir. C’est la loi fondamentale de la physique qui l’exige :
plus on utilise de ressources, moins il y en a. Donc, il faut en vouloir
moins.
La démographie ne sera pas abordée à Rio + 20. Or, pour vous, c’est un sujet majeur…
La
première chose à dire, c’est que les problèmes écologiques ne
proviennent pas des humains en tant que tels, mais de leurs modes de
vie. On me demande souvent : ne pensez-vous pas que les choses ont
changé depuis quarante ans, que l’on comprend mieux les problèmes ? Je
réponds que le jour où l’on discutera sérieusement de la démographie,
alors là, il y aura eu du changement. Jusqu’ici, je ne
vois rien, je dirais même que c’est pire qu’avant. Dans les années 70,
les Nations unies organisaient des conférences sur ce thème,
aujourd’hui, il n’y a plus rien.
Pourquoi ?
Je ne
comprends pas vraiment pourquoi. Aux Etats-Unis, on ne discute plus de
l’avortement comme d’une question médicale ou sociale, c’est
exclusivement politique et religieux. Personne ne gagnera politiquement à
ouvrir le chantier de la démographie. Du coup, personne n’en parle. Or,
c’est un sujet de très long terme, qui mérite d’être anticipé. Au
Japon, après Fukushima, ils ont fermé toutes les centrales nucléaires.
Ils ne l’avaient pas planifié, cela a donc causé toutes sortes de
problèmes. Ils ont les plus grandes difficultés à payer leurs
importations de pétrole et de gaz. C’est possible de se passer de
nucléaire, mais il faut le planifier sur vingt ans. C’est
la même chose avec la population. Si soudainement vous réduisez les
taux de natalité, vous avez des problèmes : la main-d’œuvre diminue, il
devient très coûteux de gérer les personnes âgées, etc. A Singapour, on
discute en ce moment même de l’optimum démographique. Aujourd’hui, leur
ratio de dépendance est de 1,7, ce qui signifie que pour chaque actif,
il y a 1,7 inactif (enfants et personnes âgées compris). S’ils stoppent
la croissance de la population, après la transition démographique, il y
aura un actif pour sept inactifs. Vous comprenez bien qu’il est
impossible de faire fonctionner correctement un système social dans ces
conditions. Vous courez à la faillite. Cela signifie qu’il faut
transformer ce système, planifier autrement en prenant en compte tous
ces éléments. La planification existe déjà, mais elle ne
fonctionne pas. Nous avons besoin de politiques qui coûteraient sur des
décennies mais qui rapporteraient sur des siècles. Le problème de la
crise actuelle, qui touche tous les domaines, c’est que les
gouvernements changent les choses petit bout par petit bout. Par
exemple, sur la crise de l’euro, les rustines inventées par les Etats
tiennent un ou deux mois au plus. Chaque fois, on ne résout pas le
problème, on fait redescendre la pression, momentanément, on retarde
seulement l’effondrement.
Depuis quarante ans, qu’avez-vous raté ?
Nous
avons sous-estimé l’impact de la technologie sur les rendements
agricoles, par exemple. Nous avons aussi sous-estimé la croissance de la
population. Nous n’avions pas imaginé l’ampleur des bouleversements
climatiques, la dépendance énergétique. En 1972, nous avions élaboré
treize scénarios, j’en retiendrais deux : celui de l’effondrement et
celui de l’équilibre. Quarante ans plus tard, c’est indéniablement le
scénario de l’effondrement qui l’emporte ! Les données nous le montrent,
ce n’est pas une vue de l’esprit. Le point-clé est de
savoir ce qui va se passer après les pics. Je pensais aussi honnêtement
que nous avions réussi à alerter les dirigeants et les gens, en général,
et que nous pouvions éviter l’effondrement. J’ai compris que les
changements ne devaient pas être simplement technologiques mais aussi
sociaux et culturels. Or, le cerveau humain n’est pas programmé pour
appréhender les problèmes de long terme. C’est normal : Homo Sapiens a
appris à fuir devant le danger, pas à imaginer les dangers à venir.
Notre vision à court terme est en train de se fracasser contre la
réalité physique des limites de la planète.
N’avez-vous pas l’impression de vous répéter ?
Les
idées principales sont effectivement les mêmes depuis 1972. Mais je
vais vous expliquer ma philosophie : je n’ai pas d’enfants, j’ai 70 ans,
j’ai eu une super vie, j’espère en profiter encore dix ans. Les
civilisations naissent, puis elles s’effondrent, c’est ainsi. Cette
civilisation matérielle va disparaître, mais notre espèce survivra, dans
d’autres conditions. Moi, je transmets ce que je sais, si les gens
veulent changer c’est bien, s’ils ne veulent pas, je m’en fiche.
J’analyse des systèmes, donc je pense le long terme. Il y a deux façons
d’être heureux : avoir plus ou vouloir moins. Comme je trouve qu’il est
indécent d’avoir plus, je choisis de vouloir moins.
Partout dans les pays riches, les dirigeants promettent un retour de la croissance, y croyez-vous ?
C’est
fini, la croissance économique va fatalement s’arrêter, elle s’est déjà
arrêtée d’ailleurs. Tant que nous poursuivons un objectif de croissance
économique «perpétuelle», nous pouvons être aussi optimistes que nous
le voulons sur le stock initial de ressources et la vitesse du progrès
technique, le système finira par s’effondrer sur lui-même au cours du
XXIe siècle. Par effondrement, il faut entendre une chute
combinée et rapide de la population, des ressources, et de la production
alimentaire et industrielle par tête. Nous sommes dans une période de
stagnation et nous ne reviendrons jamais aux heures de gloire de la
croissance. En Grèce, lors des dernières élections, je ne crois pas que
les gens croyaient aux promesses de l’opposition, ils voulaient plutôt
signifier leur désir de changement. Idem chez vous pour la
présidentielle. Aux Etats-Unis, après Bush, les démocrates ont gagné
puis perdu deux ans plus tard. Le système ne fonctionne plus, les gens
sont malheureux, ils votent contre, ils ne savent pas quoi faire
d’autre. Ou alors, ils occupent Wall Street, ils sortent dans la rue,
mais c’est encore insuffisant pour changer fondamentalement les choses.
Quel système économique fonctionnerait d’après vous ?
Le
système reste un outil, il n’est pas un objectif en soi. Nous avons
bâti un système économique qui correspond à des idées. La vraie question
est de savoir comment nous allons changer d’idées. Pour des pans
entiers de notre vie sociale, on s’en remet au système économique. Vous
voulez être heureuse ? Achetez quelque chose ! Vous êtes trop grosse ?
Achetez quelque chose pour mincir ! Vos parents sont trop vieux pour
s’occuper d’eux ? Achetez-leur les services de quelqu’un qui se chargera
d’eux ! Nous devons comprendre que beaucoup de choses importantes de la
vie ne s’achètent pas. De même, l’environnement a de la valeur en tant
que tel, pas seulement pour ce qu’il a à nous offrir.