jeudi 4 janvier 2018

Big brother 3.0 en Chine



  • Le numérique et la Chine 


Alors que je suis le premier convaincu des opportunités du numérique, il faut avouer que les prospectives peuvent être soit enthousiasmantes, soit glaçantes. 

Le numérique envahit nos vies et nos données personnelles deviennent le pétrole de la nouvelle économie. Dans nos pays occidentaux les géants de l'internet nous tracent au plus près anticipant nos envies pour monétiser notre attention ("l'économie de l'attention") sous forme de publicités et messages ciblés. C'est intrusif, ça remet en question la vie privée et de l'usage de nos données personnelles. C'est un flicage virtuel volontaire que l'on accepte avec les conditions générales d'utilisation. Dans nos sociétés démocratiques, cela pose aussi la question du niveau de surveillance que l'on accepte à mettre en perspective des risques terroristes ou autres bonnes ou mauvaises raisons. Il y a du débat mais on sent la montée de la surveillance au quotidien s'imposer, confirmée par les révélations d'Edward Snowden. Reste que nous avons des gardes fous, un ancrage démocratique, une tradition de liberté d'expression. Dans d'autres pays plus autoritaires, les autorités restent en deçà des potentialités du numérique. 

Le cas de la Chine est à mon avis un peu différent. Nous sommes là en présence du pays le plus peuplé, deuxième puissance économique mondiale en passe de devenir numéro 1. La Chine est en train de franchir les étapes du développement à vitesse grand V et saute dans le monde de demain sans passer par  toutes les étapes du développement que nous avons connu (ils vont rater le minitel, dommage). 

A travers sa censure sévère, le régime a permis deux choses: 
    • Contrôler la diffusion de l'information et les moyens de communication à l'échelle d'un pays de 1,4 Milliard d'habitants 
Tous les médias chinois sont surveillés. Les censeurs ferment les blogs et autres sites à tour de bras. Les sites internationaux sont bloqués: google, Facebook, twitter, instagram mais aussi pour la France Le monde, libération,etc.... même la page wikipedia de la Chine est censurée. Pour faire bonne mesure, les autorités ont interdit les VPN qui permettaient d'échapper à la censure en local.  

    • Croissance endogène du web chinois  
La censure et la barrière de la langue ont permis aux chinois de développer un écosystème complet s'inspirant d'outre atlantique: Baidu le google chinois, Alibaba le amazon chinois,  Weibo le twitter, etc... Aujourd'hui cet écosystème est en train de dépasser ce que nous connaissons dans les pays occidentaux comme l'exemple de WeChat: sorte de what's app, Facebook, messenger, e commerce, paiement mobile etc... We Chat est utilisé par 760 millions de chinois dont 570 millions quotidiennement. Il est intéressant de voir que la Chine s'ouvre à la consommation de masse à travers le e commerce. A voir mais peut être éviteront ils les centres commerciaux démesurés qui sont en train de se vider de l'autre côté du pacifique.  


  • Et maintenant big brother 3.0!

La Chine est cependant avant tout un pays autoritaire dans lequel l'individu est un agent à surveiller. Passées les années folles de la révolution culturelle, le régime communiste oscille depuis 30 ans entre ouverture et conservatisme en termes de politique et de moeurs (voir l'excellent ouvrage "les trente glorieuses de la Chine"). La constante est d'étouffer la contestation et ne pas hésiter à faire des retours en arrière lorsque l'ouverture se fait trop critique envers le pouvoir.  

Dans ce cadre, l'exploitation des potentialités du numérique pour régir la vie des concitoyens est non seulement effrayant mais surtout une réalité qui rattrape les chinois. Venant d'un séjour en Chine, cela m'avait déjà marqué, je m'aperçois que c'est repris par la presse française. Par exemple, avec WeChat, il est possible de tracer toute ma vie sociale, mes achats, mes lectures; mes échanges avec des tiers, bien sur ma localisation... Entre les mains d'un censeur ou d'une police politique, c'est rapidement explosif et je défie quiconque de se sentir à l'abris. 


Lors d’un salon des professionnels de la sécurité publique, à Shenzhen, en Chine, le 30 octobre.


Libération nous retrace la vie d'une journée en Chine pour un citoyen lambda. Tous les aspects de la vie y passent. La vidéosurveillance se généralise et par rapport aux origines de la vidéo surveillance, il ne s'agit pas de pouvoir faire un contrôle a posteriori mais a priori en utilisant massivement la reconnaissance faciale. C'est 1,4 Milliard de chinois qui sont fichés, à croiser avec diverses bases de données de leur vie quotidienne. Comme en ex RDA mais pour un pays d'une population 90 fois plus importante. Prochaine étape pour 2020, un système de bonus malus pour chaque citoyen afin d'évaluer si il est un "bon" citoyen et permette aujourd'hui d'accéder à des offres commerciales mais demain un emploi, une épouse ou un époux, un appartement,... (à voir l'épisode 1 de la saison 3 de blackmirror). L'échelle de cette surveillance généralisée est angoissante. 

Au vu de la nature et l'opacité du régime, la notion de "bon citoyen" est à envisager avec prudence. Dans nos pays occidentaux, un ou deux attentats de plus et certains justifieront une surveillance de masse. Je ne sais pas qui décidera qui est un bon citoyen d'un mauvais citoyen, avec un parti d'extrême droite qui fait 1/3 des suffrages.... Dans tous les cas restons vigilants sur ce qui se passe en Chine car c'est cette dernière qui risque de donner le ton des décennies à venir.