dimanche 23 août 2020

A mes amis féministes - Ne nous trompons pas de combat(s)

Nous vivons, par les temps qui courent, une nouvelle page de l'histoire du féminisme. J'y vois en tant qu'homme blanc, quadra, CSP+ une nouvelle évolution positive de notre perception des enjeux de l'égalité homme femme. En particulier, je mettrais en avant la question de l'ouverture des possibles pour toutes les jeunes femmes, le partage équitable du pouvoir, des droits égaux politiques, économiques et familiaux. Un futur désirable est pour moi, que la question du genre soit devenue transparente pour tous. "Les femmes portent la moitié du ciel" disait Mao, les hommes portent donc l'autre moitié et le ciel ne nous tombera pas sur la tête.

Le chemin est encore long mais beaucoup d'étapes ont déjà été franchies. Je considère néanmoins que nous assistons à une certaine dérive de que nous qualifierons de néo féminisme radical que j'entends questionner ici. 

  • Dans mon domaine, celui de la mobilité urbaine, les lunettes "genre" permettent d'apporter un nouveau regard et améliorer le niveau de service des transports au profit de tous et toutes
En tant que référent égalité H/F dans le domaine de la mobilité urbaine au sein de mon agence de d'aide au développement, j'ai pu changer de perspective sur certains sujets. Les lunettes "genre" m'ont permis d'appréhender les obstacles que subissent les femmes jeunes ou moins jeunes dans leur vie quotidienne sur le chemin de l'égalité, les violences qu'elles subissent, le manque de représentation féminine dans la gouvernance, le déséquilibre des charges domestiques et la discrimination professionnelle. En particulier, la question de la violence faite aux femmes est particulièrement intolérable et les transports sont malheureusement un lieu emblématique de cette question. Face à ce constat, la première étape est de comprendre qu'il y a un sujet et faire du plaidoyer. La deuxième étape à laquelle je me suis attelé avec mes collègues et des entités telles que le Centre Hubertine Auclert, est de penser des politiques publiques en ce sens. C'est un exercice complexe, passionnant, non sans enjeux politiques et éthiques, qui nous oblige à nous questionner et nous réinventer, à mettre au défi nombres d'idées préconçues. C'est bien sur encore plus complexe dans une optique d'aide au développement ou comment transposer des valeurs que je pense universelles dans des systèmes de valeurs locaux et historiques. 

Une des conclusions majeures à laquelle je suis arrivé, est qu'offrir des transports de qualité avec un haut niveau de service se fait au bénéfice de tous y compris les femmes et que le taux de fréquentation des transports par les femmes est le méta indicateur du succès d'un système de transport et de l'égalité homme femme. On peut supposer qu'un objectif de 50/50 ce qui induit que les femmes sont aussi actives que les hommes, qu'elles sont ni plus ni moins motorisés que les hommes et qu'elles ne sont pas freinées dans leur mobilité quotidienne.    

  • La question sensible: quel chemin pour atteindre l'égalité H/F? 
La question du genre est par définition une question politique. La raison principale pour laquelle j'ai pu passer longtemps à côté du sujet dans ma pratique professionnelle est qu'en France, nous sommes censés être libres et égaux quelque soit notre couleur de peau, notre religion ou notre sexe. La question du genre est venue des Etats Unis où les femmes se sont considérées comme une communauté en soit et par là demande une approche politique ad hoc, y compris à travers la discrimination positive. Cela s'accompagne de certains travers que j'entends dénoncé ici. Je parle ici de la France uniquement, mon pays et ma culture. 
 
La libération de la parole en lien avec le mouvement #metoo est une bonne chose. J'ose espérer que les jeunes femmes n'auront plus à subir le droit de cuissage malheureusement trop courant dans tous les milieux. Je ris sous cape néanmoins en entendant ceux et celles qui poussent des cris d'orfraies en feignant de découvrir que le milieu du cinéma était vérolé par ces questions alors que c'est de notoriété publique. J'espère que le fait de l'affirmer haut et fort publiquement mettra fin à cette culture malsaine. 
  
La question est ensuite l'intensité de la réaction et surtout le prima que certaines veulent donner sur l'émotion légitime que cela provoque au détriment du droit et des principes fondamentaux de notre République. En effet, je ne peux me satisfaire que l'émotion l'emporte sur la raison, que les opinions proclamées sur les réseaux sociaux soient force de loi et qu'une minorité d'activistes bruyantes décident de ce qui est juste, éthique et moral avec les dérives que cela entraîne. J'ai regroupé quelques tribunes et réactions que je vous livre ici via mon blog*. Je sais que je prends un risque de prendre position mais ça soulage m'a conscience. J'espère que l'on ne m'opposera pas le point godwin (cf ci dessous).  

  • Sur les principes de la justice en France et du tribunal médiatique
Sur la question du droit et de la présomption d'innocence. Marie Dosé, avocat pénaliste est intervenue (avec courage) sur France Inter après la cérémonie des césars pour rappeler quelques principes de droit élémentaire comme la présomption d'innocence et la notion de prescription. Son propos rejoins le mien, "La difficulté, c'est que si, à chaque fois que je rappelle l'état de droit, les victimes de violences sexuelles considèrent que je leur fais offense, on arrive à une catastrophe" ou quand le fait de parler de la question de la violence faite aux femmes devient une vérité absolue qu'il y ait des preuves ou non, que ce soit avéré ou non, que ne pas se positionner nous classe dans le camp honni du patriarcat. "Les principes du droit sont la protection contre l'arbitraire". Elle rappelle aussi que la notion de prescription est une notion clef du droit et que le seul crime non prescriptible est le crime contre l'humanité. 

Alors que par ailleurs, on s'indigne des infox (fake news), une partie du mouvement féministe se complaît dans des tribunaux médiatiques. Pour rappel, l'homme qui avait été dénoncé par la journaliste qui a lancé le #balancetonporc a été acquitté. Il n'est surement pas un saint, mais en attendant, sa vie a du être compliquée et que celui qui n'a jamais dit un mot de travers ou une blague un peu déplacée me jette la première pierre**.

On me dit que c'est un excès compréhensible après des siècles de domination et d'impunité masculine. Certes, mais cela s'inscrit dans une mauvaise pente et une société qui ne croit plus en sa justice et son état de droit va, à mon sens, à sa perte. J'ai été particulièrement choqué par la tribune d'Adèle Haenel qui a cloué au pilori, manifestement à raison, le cinéaste machin chose pour agression sexuelle, mais qui s'est vanté dans la presse de ne pas porter plainte parce que la justice ne fait pas son travail contre la violence faite aux femmes. Elle a confié l'enquête à une journaliste qui a surement bien fait son métier, mais journaliste n'est pas enquêteur judiciaire. Si les statistiques indiquent une certaine complaisance à l'endroit des harceleurs, il est faux de dire que la justice ne fait jamais rien. Premièrement parce qu'en premier lieu, le problème est que seulement 1 femme sur 10 victime de viol ou tentative de viol porte plainte**. En deuxième lieu, je ne listerais pas ici mais j'ai plusieurs cas concrets que j'ai connu qui prouvent le contraire même si beaucoup reste à faire et que les mentalités doivent évoluer. Si les stars de cinéma sont des leaders d'opinion, son devoir civique et son devoir envers le mouvement féministe est d'accompagner sa dénonciation publique d'une plainte au pénal. Personne ne nous fera croire que la police n'aurait pas instruit son dossier au vu de sa notoriété, de sa force de caractère, des soutiens et de l'aide juridique qu'elle aurait pu mobiliser. Elle aurait créer un précédent vertueux, une jurisprudence Adèle Haenel pour toutes les femmes jeunes ou moins jeunes, mais aussi pour toute la machine policière et judiciaire. Depuis elle a porté plainte car le parquet s'était auto saisie, trop tard selon moi. 

On vient de me rapporter une anecdote qui m'a troublé. Cette dernière a eu lieu à Sciences Po Rennes l'an dernier et illustre cette mauvaise pente. Un jeune homme était accusé par un groupe d'étudiants (groupe A) de viols sur plusieurs élèves (élèves B) qui n'appartenait pas à ce groupe (A). La direction de Sciences Po a entendu ces élèves concernées (B) qui ont indiqué ne pas vouloir porter plainte et n'ont pas confirmé ou infirmé les dire (je ne connais pas le détail de l'affaire, ni le fin mot de l'histoire ce n'est pas le propos). La direction de Sciences Po n'a donc pas pris de mesures particulières. En réaction, le groupe d'étudiant (A) a placardé dans Rennes la photo de l'étudiant accusé de viol avec son numéro et l'accusation associée. L'étudiant en question a fait une tentative de suicide. Ils ont également fait un esclandre à la remise des diplômes et accusé la direction de tous les maux. Qui sont ils pour rendre justice eux mêmes? Contre la volonté des victimes? Selon quel système de valeurs? Quelle est la prochaine étape dans cette justice de la rue?

Mais si on en était resté là, je pourrais m'en accommoder en me disant que ces excès peuvent faire bouger les mentalités et changer l'attitude de la justice et de la police et mieux accueillir la parole des femmes. Mais ce que je craignais comme mouvement de fond se réalise au fur et à mesure. Notons que je ne défends personne ici, je n'ai aucune sympathie pour les personnes que je vais citer.
 
Des féministes viennent maintenant contester les nominations au gouvernement de Eric Dupont Moretti (EDM) et Gérald Darmanin (GD). Je suis d'accord que la nomination de GD en tant que premier flic de France est un conflit d'intérêt majeur pour un homme public sous instruction judiciaire et en soit une erreur politique. Il faut par contre rappeler la question de la présomption d'innocence et se garder de le traiter de violeur. 

L'autre pendant est la critique de la nomination d'EDM parce que .... il aurait émis des avis contraires au mouvement #metoo. Je n'approuve pas mais pour autant reste la liberté de parole, on confond aussi une plaidoirie avec une prise de position publique. Sur les murs de Paris, je peux lire des insanités sur ces deux hommes (« Un violeur à l’intérieur, un complice à la justice »et je ne sais pas comment expliquer cela à mes enfants.    

La tendance s'accélère avec la démission de Christophe Girard face à une extrême minorité agissante sur sa proximité avec l'écrivain Gabriel Marzneff. On parle d’événements d'il y a plus de 34 ans et aucune charge ni accusation n'a été retenue contre lui. Je n'ai aucune sympathie particulière pour Christophe Girard mais je m'inquiète du précédent que cela représente. Sur quel système de valeur cette nouvelle forme de morale est elle définie? A t on un manque tel du carcan moral catholique pour devoir s'en voir imposé un autre? Les féministes radicales sont elles les nouveaux docteurs en moral?  

La violence du propos de ces femmes m'a choqué et cela a été heureusement condamnés par les différents responsables politiques. On me dit également que cela peut s'excuser par le bien fondé de leur action. Attention. Dans le film La haine, il est dit "la haine appelle la haine". Veut on aller au clash violent entre les communautés, entre les hommes et femmes, entre "le peuple des gilets jaunes" et les "bobos du centre ville favorisés", entre les musulmans et les chrétiens, entre les homos et les hétéros, entre les grands et les petits ? Je sens que c'est le sens de l'histoire et ça m'attriste. Je suis en train de faire de plus en plus mon deuil mais j'ai encore de l'espoir que l'on puisse encore développer une forme de vivre ensemble respectueux des uns et des autres. Au passage, c'est aussi une faute politique d'EELV. Par respect pour ceux qui ont voté pour la liste commune, on ne s'allie pas pour se dézinguer la première semaine de mandature.  

A jeter à la pâture publique tous les "déviants" d'un nouvel ordre moral, on monte les uns contre les autres, on crée du communautarisme et on tombe dans les dérives de la société américaines. Cette forme de militantisme où l'émotion et les approximations ("Mairie de Paris Pedoland", c'est digne d'un tweet de Trump), font office de vérité est dangereux pour notre démocratie ou ce qu'il en reste. De plus, où mettre la limite? Quand devrons nous dire que cela va trop loin? Suis je le prochain sur la liste ? (je ne résiste pas à vous mettre cette caricature du canard enchaîné en lien avec cet article).  




A aller également trop loin dans la dénonciation violente et le militantisme protestataire sans nuance, c'est à mon avis tout le combat féministe légitime que l'on met en danger. Il me paraît assez évident qu'il est plus facile pour les opposants au féminisme de caricaturer des féministes caricaturales et de décrédibiliser l'ensemble du mouvement.  

Pour faire régulièrement l'exercice du plaidoyer en faveur de l'égalité H/F dans mon travail à l'étranger, l'exercice est déjà assez ardu, je me prend des grosses vestes mais j'y crois donc je continue. Il y a des sujets assez graves et complexes à mettre en haut des priorités pour ne pas se faire renvoyer dans la figure ce genre d'épiphénomène. Actuellement, en 30s un équivalent point godwin version féministe radicale est atteint "c'est un affront à toutes les féministes", "c'est un bras d'honneur", "'c'est une baffe à toutes les victimes d'agression sexuelle" etc. et décrédibilise le combat féministe d'une majorité de femmes et d'hommes qui se battent et construisent au quotidien pour le droit des femmes. Je dis ici que je ne suis pas un saint mais, qu'a minima, dans ma pratique professionnelle, je me pose la question de quoi faire et j'encourage toutes celles qui sont dans le discours extrême à plutôt penser action constructive que dénonciation hasardeuse. Heureusement, la majorité du mouvement féministe est je l'espère dans la même optique que moi. C'est d'autant plus important qu'en France, les femmes sont au moins aussi éduquées que les hommes voir souvent plus, que leurs aînées ont ouvert la voie et qu'elles ont aujourd'hui les moyens de porter leur ambition d'égalité par leurs actions civiques et politiques. Enfin, les hommes portent aussi la moitié du ciel et doivent être vus comme des alliés pas des ennemis.     

  • Sur l'arbre qui cache la forêt   
Attention également aux diversions, ma môman m'avait dit à une époque que cette question du genre venue des Etats Unis était une diversion pour cacher la question la plus importante de la domination de classe et de la violence économique ultra libérale. Je partage en partie cette analyse. Cela détourne de la question sociale qui est la précarisation du travail, la pressurisation des petites gens par le grand capital dont les femmes modestes sont malheureusement les premières victimes. J'ai rigolé (jaune) quand, au Brésil, on m'a expliqué qu'après avoir étudié de manière approfondie la question du genre, le problème était surtout pour les femmes noires et pauvres que pour les femmes riches et blanches (sans rire?). Attention donc à ce que la question du genre sous l'angle de la morale et des agressions sexuelles fassent oublier la question aussi importante de la violence économique faite aux femmes et aux plus modestes.   

  • Sur l'art 
Attention également. Par définition selon moi, l'art et les artistes sont des gens hors du cadre de la société, le pas de coté. Si on devait exclure de l'histoire de l'art tous les pervers un peu beaucoup dérangés, les sales mecs, on aurait plus beaucoup de grands artistes et je pense qu'il faut séparer l'artiste de son oeuvre. Leila Slimani dans une interview sur france inter (pas dans le texte mais à écouter dans l'audio 14ème minute) nous rappelle que l'artiste livre son oeuvre au public et que cette oeuvre devient un patrimoine public au delà de son auteur (au passage elle reprend mon point ci dessus sur l'arbre bling bling des Césars qui cachent la forêt du combat féministes nécessaire pour la femme ordinaire). Je continue à trouver que Michael Jackson a réalisé une oeuvre musicale extraordinaire même si le personnage en soit était plus que dérangé et probablement un pédophile. Pour des références plus intellos, il est de notoriété publique qu'André Gides était un pédophile patenté.   

La tribune au vitriol de Mazarine Pingeot**** est assez éloquente quand elle nous demande. 

"Et que deviendra l’art, dans tout ça ? Des livrets de vertu qu’on distribuera au seuil des nouvelles églises ? Des éditoriaux pleins de bons sentiments mâtinés de haine rance de vieilles filles ? Des imprécations béni-oui-oui de néoromantiques exaltés par les combats sur Facebook ? Des œuvres théâtrales où l’on dira le catéchisme, le mal contre le bien, dont on voit vite les incarnations ? Des tableaux respectant la parité, homme, femme, Noir, Blanc, vieux, jeunes, handicapés, dans des champs de blé bio et des plants de tomates en permaculture ?"


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* Vous noterez qu'il s'agit d'un débat approfondi à coup de tribune dans ...le monde, le "journal de référence" mais qui est aussi très mainstream (et que j'ai copié sur mon blog pour les non abonnés). Disons que c'est a minima un angle de vue qui est censé faire référence en France. 

** Je mets ici en accusation aussi Marlène Schappia et ceux et celles qui on relayé les "chiffres" sans rentrer dans le détail de comment ces derniers ont été élaborés. Dans le détail on mélange des choux et des carottes même si il ne faut pas nier un problème de fond sur le traitement des violences faites aux femmes et une certaine indulgence. Le sujet principal est malheureusement que les femmes victimes ne portent pas plainte et que la très grande majorité des cas se fait dans le cadre domestique et les connaissances. Je vous invite à aller lire la lettre annuelle de l'observatoire de la violence faite aux femmes. Assez troublant je l'avoue. Donc la plupart des viols ou tentatives de viol sont réalisés par le conjoint ou l'ex conjoint (~45%) ou une connaissance (~45%). Seule 1 femme sur 10 porte plainte pour les raisons suivantes principalement (i) la crainte de vivre de nouvelles épreuves est citée par 65 % d’entre elles, le souhait d’« éviter que cela se sache » par 53 %, et la peur des représailles ou d’une vengeance par 49%. 

Sur le traitement judiciaire "En 2018, 9 142 auteurs ont été poursuivis devant une juridiction d’instruction ou de jugement. Les poursuites ont concerné 83 % des auteurs impliqués dans des affaires « poursuivables» de viol, 67 % de ceux impliqués dans des affaires d’agressions sexuelles et 51 % de ceux impliqués dans des affaires de harcèlement sexuel. Au total, 3 641 auteurs ont été poursuivis sous une qualification de viol. La quasi-totalité a été mise en examen. Seul 1 % des auteurs impliqués dans une affaire enregistrée sous la qualification de viol à son arrivée au parquet et ayant fait l’objet de poursuites a été renvoyé devant un tribunal correctionnel (tableau 3). La qualification de l’infraction retenue peut ensuite évoluer au cours de l’instruction. Une récente publication du service statistique du ministère de la Justice analyse l’issue des instructions pour violences sexuelles clôturées en 20161 . Il en ressort que pour 29 % des auteurs, la qualification initiale de viol a été abandonnée au cours de l’instruction (22 % au profit de la qualification d’agression sexuelle et 7 % au profit de celles d’atteinte sexuelle ou de violence). Parmi les personnes dont la mise en examen s’est clôturée sur une qualification de viol, 15 % ont bénéficié d’un non-lieu pour cette charge mais on été renvoyées devant un tribunal correctionnel pour une infraction d’agression sexuelle, voire, plus rarement, de violences. Cette proportion de renvoi vers le tribunal correctionnel monte à 38 % pour les faits qualifiés de viol par conjoint à l’issue de l’instruction." 

*** On notera que quand des féministes radicales mettent sur une pancarte devant tous les médias des paroles impardonnables genre "Mairie de Paris Pedoland", on leur trouve des excuses. Mais qu'une vanne de très mauvais goût ou mal placée ou mal à propos dans un contexte privé, semi public ou public  te voue aux gémonies (genre celles qui a déclenchée la vague #balancetonporc ou les paroles prononcées par EDM).   

**** Pour être honnête intellectuellement,  j'ai appris par la suite que Mazarine Pingeot est la témoin du mari de Christophe Girard ce qui explique son ton aussi vif certainement.   

« Les nominations de Darmanin et Dupond-Moretti discréditent les ambitions françaises de promotion des droits des femmes »

Un collectif de 91 intellectuelles et militantes féministes de plus de 35 pays, dont Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix, et Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de littérature, expliquent pourquoi ces nominations marquent un virage antiféministe.

Tribune. Nous, militantes, intellectuelles, femmes politiques féministes, issues de plus de trente-cinq pays du monde, avons appris avec sidération, le 6 juillet, les nominations au poste de ministre de l’intérieur de la France de M. Gérald Darmanin et à celui de ministre de la justice de M. Eric Dupond-Moretti. Ce remaniement du gouvernement français représente un virage politique antiféministe, dont la portée dépasse largement les frontières de la France. Il vient renforcer le backlash [« retour de bâton »] contre les femmes, dont nous sommes victimes sur tous les continents, en violation de nos droits fondamentaux.

En effet, M. Darmanin fait l’objet d’une procédure judiciaire pour viol, harcèlement sexuel et abus de confiance, qu’il aurait commis à l’encontre de Sophie Patterson-Spatz en 2009. Bien qu’il soit légalement présumé innocent, nous considérons comme politiquement impensable et inacceptable une telle promotion, compte tenu de l’instruction en cours. Nous alertons sur le risque que la nomination de M. Darmanin au poste de ministre de l’intérieur, autorité hiérarchique des policiers chargés de l’enquête sur ses agissements, pourrait faire peser sur l’indépendance de la procédure.

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Nous ne pouvons également nous empêcher de penser que la nomination du nouveau ministre de l’intérieur jette le discrédit sur les témoignages des victimes de violences sexistes et sexuelles, à un moment où les mouvements féministes du monde entier revendiquent la centralité de cette parole après des décennies de stigmatisation et de loi du silence. Comme si cela n’était pas suffisant, Gérald Darmanin s’est aussi prononcé contre le mariage des personnes de même sexe en 2012 et 2013.

Un promoteur de la culture du viol

Nous sommes également abasourdies par le choix de l’avocat Eric Dupond-Moretti, lequel a eu dans la presse, et ce à diverses reprises, des propos et positionnements ouvertement sexistes, remettant en question les souffrances des femmes et témoignant de sa méconnaissance et de son incompréhension flagrantes des dynamiques de pouvoir entre les hommes et les femmes.

Il a attaqué #metoo, le mouvement social planétaire de libération de la parole des femmes, porteur, pour nous, de tant d’espoirs d’égalité. Comment ne pas se rappeler aussi que M. Dupond-Moretti s’est positionné en 2018 contre la reconnaissance en droit français du délit d’outrage sexiste, censé protéger les femmes et les filles du harcèlement de rue qu’elles subissent au quotidien ?

Lire aussi  Les militantes féministes ulcérées par les nominations de Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti

Si toute personne a le droit d’être défendue au cours d’un procès équitable, nous sommes néanmoins indignées que M. Dupond-Moretti ait, au cours de certaines de ses plaidoiries, ouvertement humilié, insulté et menacé des plaignantes, comme dans l’affaire contre Georges Tron, en total mépris du traumatisme que cela pouvait leur infliger. Ainsi, M. Dupond-Moretti s’est, selon nous, affiché comme un promoteur de la culture du viol, en minimisant, trivialisant et véhiculant de fausses idées sur les violences sexistes et sexuelles.

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Ces nominations constituent un affront aux victimes de violences, aux défenseuses des droits des femmes, aux féministes françaises et, de manière globale, à la lutte portée par les femmes pour le respect de leurs droits et de leur dignité dans le monde entier.

Nous sommes d’autant plus consternées qu’elles interviennent dans un quadruple contexte. D’abord, celui d’une révolution féministe mondiale, portée notamment par #metoo, amplifiée par divers collectifs et par les mouvements de grèves des femmes, unifiées sous le slogan « Quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête ». Ces mouvements s’inscrivent eux-mêmes dans un contexte global de mobilisations sociales accrues contre les discriminations et les inégalités, qu’elles soient racistes, de classes, fondées sur le genre, ou toute autre forme d’exclusion.

Impunité des agresseurs

De surcroît, ces décisions tombent alors que progresse de manière sans précédent la parole des femmes et des féministes en France, au travers de l’émergence et du renforcement de différents groupes, tels que #noustoutes ou le mouvement de collages contre les féminicides, qui a recouvert les murs de France de milliers de messages depuis près d’un an.

Enfin, la récente pandémie de Covid-19 a révélé davantage encore l’ampleur des violations des droits des femmes, en particulier des violences et des atteintes à leur santé sexuelle et reproductive, et amené à une forte mobilisation des mécanismes internationaux et nationaux de protection des droits humains.

« Comment les autorités françaises peuvent-elles remettre en cause avec autant de mépris l’héritage d’Olympe de Gouges, Simone Veil, Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi ? »

Dans ces contextes, et alors que le président Emmanuel Macron a proclamé l’égalité femmes-hommes grande cause de son quinquennat et promis une « politique étrangère féministe », ces nominations constituent un virage antiféministe qui discrédite les ambitions françaises de promotion des droits des femmes sur son territoire et à l’étranger.

Elles viennent conforter d’autres gouvernements restés sourds au combat pour l’égalité et contre les violences généralisées que subissent les femmes. Elles donnent un feu vert à la poursuite de l’impunité des agresseurs qui prévaut en France et dans d’autres contextes. Comment les autorités françaises peuvent-elles remettre en cause avec autant de mépris l’héritage d’Olympe de Gouges, Simone Veil, Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi, et le combat vigoureux de tant de féministes de la nouvelle génération ?

Nous, militantes féministes, exprimons notre solidarité la plus totale aux femmes et féministes françaises et leur apportons notre soutien inébranlable dans leur combat pour l’égalité et contre la culture de l’impunité des puissants et des auteurs de violences sexistes et sexuelles. Votre combat est aussi le nôtre.

Le remaniement ministériel en France est une expression supplémentaire de la recrudescence des attaques dont nous faisons l’objet partout dans le monde. Il appelle à une union de nos voix et de nos efforts. Nous ne tolérerons ni reculs ni marginalisation de nos luttes. Notre colère ne faiblira pas car nos droits et notre dignité ne sont pas négociables. Face au backlash, la solidarité internationale doit s’intensifier aux quatre coins du monde. Nous nous y employons.

Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de littérature, Biélorussie ; Souhayr Belhassen, présidente d’honneur de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Tunisie ; Fanta Doumbia, présidente de l’Organisation des femmes actives de Côte d’Ivoire, coordinatrice du Réseau d’action contre les violences sexuelles ; Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix, présidente de l’association Defenders of Human Rights Centre, Iran ; Shoukria Haidar, présidente de l’association Negar-Soutien aux femmes afghanes ; Martha Karua, chef de la National Rainbow Coalition (NARC), ancienne ministre de la justice du Kenya ; Azadeh Kian, professeure de sociologie, université Paris-VII, Iran-France ; Kholod Massalha, journaliste, défenseuse des droits humains, directrice d’I’lam-Arab Center for Media Freedom, Development and Research, Palestine ; Maria de la Luz Estrada Mendoza, directrice exécutive de l’Observatoire citoyen national des féminicides, Mexique ; Taslima Nasreen, militante féministe, auteure, médecin, Bangladesh ; Pinar Selek, écrivaine, sociologue et militante féministe, Turquie ; Debbie Stothard, coordinatrice et fondatrice d’Altsean-Burma, Malaisie ; Wassyla Tamzali, écrivaine et féministe, ancienne directrice des droits des femmes de la Méditerranée à l’Unesco, Algérie.


https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/15/le-remaniement-gouvernemental-discredite-les-ambitions-francaises-de-promotion-des-droits-des-femmes_6046200_3232.html

Thomas Chatterton Williams : « Un espace public corseté par la “cancel culture” ne sert pas les intérêts des minorités »

 L’écrivain américain est l’un des instigateurs de la tribune signée par 150 intellectuels et artistes contre l’intolérance de la nouvelle gauche antiraciste à l’encontre des points de vue dissonants. Dans un entretien au « Monde », il analyse les débats qu’elle suscite

Entretien. Thomas Chatterton Williams est un essayiste et journaliste américain. Il est l’un des cinq intellectuels américains à l’origine de la récente tribune contre la cancel culture, parue dans Le Monde (daté 9 juillet), Harper’s Magazine et bien d’autres publications à travers la planète. Plus de 150 journalistes, écrivains et artistes, dont Mark Lilla, Margaret Atwood, Wynton Marsalis, ont soutenu ce texte dénonçant la tendance qui existerait au sein de la nouvelle gauche antiraciste à vouloir faire taire toute voix jugée non conforme.

Thomas Chatterton Williams collabore notamment avec Harper’s, The New York Times. Il a publié dans The New Yorker une enquête sur l’influence des penseurs d’extrême droite français aux Etats-Unis. Après Une soudaine liberté (Grasset, 2019), il devrait faire paraître, l’hiver prochain, Autoportrait en noir et blanc, aussi chez Grasset.

Qu’est-ce que la « cancel culture » ?

C’est un phénomène, qui, sans être nouveau, a peu à peu pris de l’ampleur. Ce mouvement prend la forme d’attaques coordonnées, généralement lancées en ligne, contre quelqu’un afin de ruiner sa réputation et de lui faire perdre son emploi.

Ses détracteurs se mobilisent, car ils estiment que cette personne a tenu des propos ou s’est comportée d’une manière jugée infamante. Très souvent, le geste condamné ne porte pas atteinte à une norme établie, mais à de nouvelles normes défendues par des milieux très mobilisés, souvent pour des causes justes, comme la lutte contre le racisme.

La « cancel culture » ne se limite donc pas à l’insulte ou à une prise à partie, elle cherche à vous atteindre plus personnellement. Un climat de peur, contraire à la liberté d’expression, s’installe de ce fait, et les rapports sociaux deviennent plus brutaux.

Qui est visé par ces attaques ?

La foule se déchaîne tout particulièrement contre les personnes occupant des postes dans des institutions culturelles, médiatiques ou universitaires, mais pas uniquement.

L’un des exemples les plus connus date de 2013 et concerne une inconnue, Justine Sacco, directrice d’une société de relations publiques, qui, avant de monter à bord d’un avion entre Londres et Sowetho, fait sur Twitter une mauvaise blague, écrivant qu’elle n’attrapera pas le sida parce qu’elle est Blanche. Elle n’avait alors que 170 abonnés à son compte. Mais, au moment de l’atterrissage, sa vie était en ruine. Son employeur l’avait renvoyée et elle était désormais une paria. Sa blague n’était pas drôle, mais il faut préserver un espace pour la maladresse, même l’ironie déplacée, sans qu’elle soit aussi durement sanctionnée.

Autre exemple, Bret Weinstein, un professeur de biologie, a dû quitter son emploi en 2017 au Evergreen State College (Etat de Washington), une université américaine, parce qu’il a refusé de participer à une journée durant laquelle les Blancs devaient s’abstenir de venir sur le campus, afin de le laisser complètement aux personnes issues des minorités. Il a choisi de s’y rendre quand même, ce qui a suscité une forte vague d’indignation. Face à la pression, et alors que l’université ne prenait pas sa défense, sa femme et lui ont été contraints de démissionner.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Mark Lilla, Margaret Atwood, Wynton Marsalis… : « Notre résistance à Donald Trump ne doit pas conduire au dogmatisme ou à la coercition »

Nous avons la chance de vivre dans des sociétés qui protègent la liberté d’expression, ne laissons pas s’installer des attitudes autoritaires promptes à punir durement tout manquement à l’idéologie. Les écrivains en ont le devoir, et c’est pour cela je crois qu’ils ont été si nombreux à signer cette tribune.

Les réseaux sociaux, tout particulièrement Twitter, jouent un rôle important dans la diffusion de la « cancel culture ». Pourquoi ?

Très souvent, c’est en effet sur les réseaux sociaux que des campagnes s’organisent contre quelqu’un. La foule se mobilise sur Twitter et l’indignation monte. L’employeur de cette personne est alors interpellé, jusqu’au moment où une procédure d’enquête ou de licenciement est engagée contre elle. Mais la perte de son emploi ne suffit pas, il faut en plus stigmatiser cette personne, le pardon n’est pas possible.

Twitter joue un autre rôle, c’est aussi le lieu où se diffusent ces nouvelles normes, notamment au sein de la profession journalistique qui l’emploie massivement aux Etats-Unis. De sorte que les journalistes fréquentent en ligne des réseaux informels où l’on s’entre-surveille et où il est important de se conformer à la nouvelle orthodoxie, même si l’opinion publique américaine ne partage pas ces nouvelles valeurs.

Si bien que, dans les rédactions américaines, une forme d’autocensure s’installe et les relations de travail se tendent. La chroniqueuse du New York Times Bari Weiss a récemment annoncé son départ de ce prestigieux quotidien en expliquant qu’elle ne supportait plus « l’intimidation » qu’elle disait subir parce que certains de ses collègues n’acceptaient pas ses points de vue.

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Comment la tribune pour dénoncer la « cancel culture » est-elle née ?

Elle a pris forme lors de conversations entre Mark Lilla, George Packer, David Greenberg, Robert Worth et moi-même. Il y a parmi nous des journalistes, des écrivains et des professeurs d’université. Nous étions tous choqués et troublés par le climat d’intolérance, proche de la censure, qui s’est installé dans les milieux que nous fréquentons. Chacun d’entre nous avait ses raisons et avait en mémoire de récents incidents.

Nous avons écrit collectivement cette tribune, puis sollicité des signataires. Il était en outre très important pour nous de publier cet article à l’étranger et pas uniquement aux Etats-Unis. L’influence de notre pays fait que les usages américains se répandent facilement. La tribune est parue en Allemagne, au Japon, en Espagne et encore ailleurs. Depuis, en tant que porte-parole du groupe, je suis constamment sollicité par la presse. Le débat suscité ne fait que commencer, même s’il est vrai que nous ne nous attendions pas à un tel succès.

Nos détracteurs nous reprochent de jouer les chiens de garde veillant sur les privilèges d’une élite intellectuelle vieillissante, comme si nous voulions empêcher les minorités qui cherchent aujourd’hui à se faire entendre d’avoir accès à l’espace public. C’est tout l’inverse. Je ne vois pas comment les intérêts de ces minorités seraient servis par un espace public corseté. Ce sont en général les premières à souffrir lorsque la liberté d’expression est limitée.

En 1981, le « New York Times » adoptait le ton de la dérision pour parler de l’affaire Faurisson et écrivait que le linguiste Noam Chomsky avait soulevé une tempête dans un verre d’eau en défendant cet auteur négationniste au nom de la liberté d’expression. Aujourd’hui, ce droit consacré de façon absolue par le premier amendement à la Constitution américaine semble embarrasser le « New York Times ». Pourquoi ?

Ce quotidien n’occupe plus la même place aux Etats-Unis et dans le monde qu’à l’époque. Son audience est plus grande que jamais et il est soumis à de très fortes pressions afin de satisfaire différents publics. Encore récemment, les Américains lisaient la presse locale, mais les quotidiens régionaux font aujourd’hui face à de très graves difficultés.

Plus généralement, ce quotidien fait aussi face à une évolution de la société américaine, où les différends se règlent de moins en moins par la discussion, mais en faisant immédiatement appel aux autorités ou à la direction, ou encore en affirmant que votre sécurité se trouve compromise par les agissements d’un autre.

C’est notamment ce qui s’est produit après la parution d’une tribune qui a entraîné le départ de James Bennet du New York Times. Signée par le sénateur républicain Tom Cotton, elle appelait à l’envoi des troupes contre les émeutes éclatant en marge du mouvement Black Lives Matter. Certains journalistes noirs couvrant les manifestations ont jugé que cet article mettait en jeu leur sécurité.

Différents courants de pensée existent au sein du New York Times, et une lutte est en effet en cours pour définir quelles valeurs il doit incarner. Ce combat prend parfois des contours générationnels, entre de jeunes journalistes très attachés à la défense des minorités, et des rédacteurs plus âgés davantage soucieux de préserver la liberté d’expression.

Pourquoi viser la gauche, alors que c’est l’extrême droite qui se livre le plus ouvertement à l’intimidation et à la violence ?

Les idées de gauche dominent au sein des institutions culturelles, médiatiques et universitaires. Ces institutions ont un fort pouvoir de prescription afin d’établir quelles sont les normes sociales jugées acceptables. La propagation de l’intolérance dans ces milieux doit donc nous préoccuper, car ce phénomène pourrait demain s’inviter dans le débat politique.

Quel regard portez-vous sur le mouvement Black Lives Matter ?

Je soutiens pleinement son combat contre les pratiques abusives de la police. Aux Etats-Unis, la police est ultra-militarisée et fait usage d’une violence extrême. Beaucoup trop de gens sont tués par elle. Les Noirs de façon disproportionnée, même si en nombre absolu les Blancs sont deux fois plus nombreux à mourir à cause de la police chaque année.

Une réforme rigoureuse de la police profiterait donc à tous et bien entendu avant tout aux Noirs. Je me méfie cependant de l’idée voulant que certaines vies seraient fondamentalement noires, tandis que d’autres seraient blanches, latinos, etc. Attention à ne pas réifier ces catégories. Je préfère l’universalisme au discours voulant qu’il y ait des différences raciales irréductibles.

N’oublions pas non plus la dimension sociale des violences policières. Ce sont des gens pauvres qui meurent sous les coups de la police, et pourtant nous feignons de l’ignorer. George Floyd n’était pas qu’un homme noir, il était un homme noir pauvre. Il serait toujours en vie s’il était un bourgeois.

La querelle de la « cancel culture » oppose de nombreux intellectuels aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, la nouvelle gauche, née des mouvements #metoo et Black Lives Matter, serait à l’origine d’un phénomène qui inquiète de nombreux intellectuels américains, la « cancel culture », autrement dit une tendance à vouloir faire taire des voix jugées dissonantes, dangereuses ou haineuses. Né sur les réseaux sociaux, ce phénomène se traduit par des mobilisations qui ont fini par provoquer des démissions, renvois, annulations de conférence, etc. Cinq des auteurs de la tribune que nous publions (Mark Lilla, Thomas Chatterton Williams, George Packer, David Greenberg et Robert Worth) sont des intellectuels engagés dans la défense de la liberté d’expression. Avec les 150 personnalités qui se sont jointes à leur appel, ils estiment qu’une frange de la gauche radicale américaine pratiquerait ainsi une forme de censure. Publié sur le site du mensuel américain Harper’s, ce texte devrait l’être également en Allemagne, en Espagne et au Japon.

Plusieurs événements récents témoignent de ces nouvelles tensions. Début juin, le directeur des pages « Opinion » du New York TimesJames Bennet, a été licencié après la parution d’une tribune signée par un sénateur républicain appelant à l’envoi de l’armée contre les manifestations violentes. Tant au sein de la rédaction du quotidien new-yorkais que sur les réseaux sociaux, ce texte a suscité une vive émotion, certains estimant qu’il pouvait porter atteinte à la sécurité des personnes noires. Sans soutenir le contenu de cet article, d’autres personnalités ont estimé que James Bennet avait été limogé avec un empressement douteux, comme s’il fallait au plus vite donner satisfaction aux internautes en colère. Parmi les signataires de la présente tribune se trouvent d’ailleurs plusieurs grandes signatures du New York Times.

Autre renvoi ayant suscité l’indignation, celui de David Shor, un analyste de données qui a été licencié début juin par son employeur, Civis Analytics, une société de conseil politique proche des démocrates. Il était reproché à M. Shor d’avoir retweeté l’étude d’un chercheur, de l’université de Princeton (New Jersey), qui tendait à démontrer que les manifestations violentes, comme il a pu y en avoir récemment aux Etats-Unis pour dénoncer les violences policières, ont un impact positif sur le vote républicain. Cette attention portée aux conséquences néfastes des manifestations violentes avait été considérée, par certains militants, comme une manière de faire taire la colère des populations noires aux Etats-Unis.

D’autres intellectuels ne partagent pas cette vision du débat sur la « cancel culture ». Ils estiment au contraire qu’il va permettre de donner davantage la parole aux minorités généralement moins ou peu entendues. D’autres encore jugent que les dénonciateurs de la « cancel culture » font fausse route : selon eux, les menaces sur la liberté d’expression viendraient bien davantage de l’extrême droite que de la gauche radicale. Ils ajoutent que le recours à l’intimidation et à la violence pour faire taire ses opposants serait d’abord et avant tout, aux Etats-Unis, le fait des suprémacistes blancs. Ils rappellent également que Donald Trump a, lui aussi, durement attaqué la « cancel culture » le 4 juillet.

Noëlle Lenoir : « Certains mouvements féministes sont révélateurs d’une évolution vers un radicalisme teinté de communautarisme »

L’avocate Noëlle Lenoir voit dans les manifestations contre les nominations au gouvernement de Gérald Darmanin et d’Eric Dupond-Moretti la marque d’une dérive à l’américaine du mouvement féministe.


 Tribune. Jamais je n’aurais imaginé prendre la plume pour m’insurger contre une certaine forme de féminisme qui tient plus à mes yeux du sectarisme que du militantisme. Jamais je n’aurais pensé que pourrait être importé en France un féminisme dont les modes d’action s’attachent moins à la défense de la cause des droits des femmes qu’au déboulonnage d’« hommes blancs et hétérosexuels » cloués au pilori pour des propos relevant de la liberté d’expression, comme les déclarations d’Eric Dupond-Moretti concernant le mouvement #Metoo, ou pour des comportements loin d’être avérés comme veulent le laisser penser certains slogans taxant, sans preuves, de viol la relation entre Gérald Darmanin et une jeune femme l’ayant contacté, au surplus, semble-t-il, pour lui demander d’interférer dans le cours de la justice.

Je ne suis pas naïve. Je sais bien que les manifestations organisées par ces féministes pour conspuer deux personnalités de grande valeur, mais ayant eu « le malheur » de voir leurs mérites reconnus au point d’en faire des ministres du gouvernement de la France, ont une forte connotation politique.

Justice de rue

Pour autant, je suis inquiète de l’agressivité qui s’empare de manifestants qui entendent substituer ce que l’on appelle aujourd’hui la « justice de rue », qui confine au lynchage de triste mémoire, à la justice tout court, qui exige modération et non pas exaltation.

Que l’on ne s’y trompe pas. Je suis féministe par ma pensée et par mes actes, et je dirai même par ma naissance. Je n’ai dans ma famille que des exemples féminins de bravoure et d’intelligence : ma mère qui, autonomisée dès 16 ans, a créé sa propre entreprise et nourri sa famille grâce à son labeur et son intrépidité ; ma tante, première femme élue bâtonnière en France, à Versailles en 1959 ; mon autre tante, résistante communiste déportée à Ravensbrück ; ma grand-mère, d’origine russe, qui a figuré parmi les premières femmes avocates en France au tout début du XXe siècle, et j’en passe.

J’essaie de suivre leur exemple, il m’inspire. Ces femmes ont lutté pour leurs droits et en ont assumé parfois les conséquences. Elles ne sont jamais tombées dans l’écueil consistant à accréditer l’idée d’une responsabilité collective de la gent masculine « blanche », au motif que les femmes se sont vu dénier tout droit à l’égalité pendant des siècles, et plus spécialement, d’ailleurs, au XIXe siècle et au début du XXe siècle.

Faire peser sur un groupe d’individus définis par leur origine et leur genre une responsabilité collective est inacceptable moralement. C’est également absurde car l’histoire est bien plus complexe que cela. La juger avec nos yeux et notre mentalité d’aujourd’hui demande de la connaître parfaitement et de savoir la resituer dans son contexte différent du nôtre ; en d’autres termes, de faire primer l’approche scientifique et le jugement sur la pure émotion.

En 2005, j’ai préfacé l’ouvrage d’une féministe américaine, Catharine MacKinnon, Le Féministe irréductible (éd. des Femmes2004)Je l’ai fait parce que cette universitaire de talent a magistralement analysé le droit au travers de la suprématie masculine, qui a été la norme en Occident et reste plus que jamais la norme en Orient. Surtout, elle avait promu la reconnaissance par la Cour suprême des Etats-Unis du harcèlement sexuel, qui n’est autre que l’expression d’une domination abusive, et avait également été l’avocate bénévole des femmes victimes d’atrocités sexuelles lors de la guerre des Balkans.

Les guerres donnent lieu à des comportements d’une cruauté inhumaine dont les violences sexuelles contre les femmes et les enfants, mais aussi les hommes, sont l’une des marques les plus révoltantes. Je voulais donc saluer aussi le travail de Catharine MacKinnon, qui a permis d’élever le niveau de la conscience publique sur l’abomination que constitue l’utilisation du corps humain comme arme de guerre.

Notre modèle de vivre-ensemble

Au-delà de l’engagement de son auteure, ce livre, à la vision passablement radicale des rapports entre les hommes et les femmes, renvoie pour moi maintenant à la question de l’évolution du féminisme en France. Jusqu’à la période récente, notre pays se distinguait du modèle des autres pays occidentaux, et singulièrement des Etats-Unis.

En 1995, Mona Ozouf, dans Les Mots des femmes (Fayard), souligne qu’on imagine mal, en France, qu’une universitaire réputée comme Maryline French « puisse écrire que les hommes sont engagés dans une guerre mondiale contre les femmes » car en France – fort heureusement –, « on n’oppose pas des hommes collectivement coupables à des femmes collectivement victimes ».

Voilà pourquoi j’observe et je redoute certains des changements à l’œuvre dans la société française. Il est clair que certains mouvements féministes ou antiracistes, comme ceux à l’origine des dernières manifestations mobilisées par Caroline de Haas et Assa Traoré, sont révélateurs d’une évolution à l’américaine vers un radicalisme teinté de communautarisme allié à l’intolérance. Si cette mutation s’opérait, promue par certains courants politiques, c’en serait fini de l’universalisme qui fait encore notre spécificité à travers le monde.

Nous aurions tout à perdre. Le dialogue deviendrait impossible et l’essentialisme primerait. Aussi, il est temps que nous réagissions et que les responsables politiques attachés à notre modèle de vivre-ensemble s’expriment sans crainte pour défendre, contre le sectarisme, notre héritage des Lumières.

Noëlle Lenoir est avocate, ancienne ministre chargée des affaires européennes (2002-2004), membre honoraire du Conseil constitutionnel.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/15/noelle-lenoir-certains-mouvements-feministes-sont-revelateurs-d-une-evolution-vers-un-radicalisme-teinte-de-communautarisme_6046209_3232.html



Mazarine Pingeot au sujet des nouveaux combats féministes : « Ce mortel ennui qui me vient… »

La romancière dénonce le nouveau féminisme qui, selon elle, se complaît dans la morale au lieu d’agir de façon politique
Ce mortel ennui qui me vient, devant la victoire d’extrémistes de la médiocrité au nom de « l’éthique », discréditant les combats féministes : ceux qui luttent pour l’égalité des droits, l’égalité des chances, avec à l’horizon une véritable révolution anthropologique. Combats politiques et non moraux !
Aujourd’hui, les femmes sont assez puissantes pour mener ce combat politique, pourquoi s’en tiendraient-elles à occuper la seule place du ressentiment et de la vengeance, de la délation et de la vindicte ? Est-ce cela, la place naturelle de la femme ?
Ce mortel ennui qui me vient, devant une certaine jeunesse sans désir mais pleine de colère, ces jeunes femmes mieux loties que leurs mères et leurs grands-mères, qui ont mené la lutte pour elles, déblayé le terrain pour leur laisser en héritage de continuer le combat : les unes se sentent insultées quand un homme, de sa violence ancestrale, ose un compliment – et c’est comme une gifle en plein visage, certaines appellent ça un viol, au mépris de celles qui en ont vraiment été victimes ; les autres se déguisent en putes pour imiter les danseuses des clips de rap qui vantent l’argent facile et l’amour monnayable.
Elles ne se connaissent pas, elles cohabitent. Il y a les pauvres, celles qui pensent que cacher un bifton dans leur string est le comble de la classe ; il y a les riches, les pourvues socialement et culturellement, qui identifient tout acte évoquant leur corps sacré comme un viol – réveil la nuit, manifestation du désir, expression du vivant.
Ce mortel ennui, devant les générations à venir, qui en seront réduites à des relations tarifées ou contractuelles. Devant les enivrés de haine, qui ne considèrent pas l’intelligence comme un atout et ont décidé plus que de s’en passer, de la piétiner systématiquement.
Qu’est-ce qu’une morale adossée à la haine ?
Devant le règne de la bêtise, du mimétisme, de la libération des pulsions de haine, et, pire que tout, de l’exaltation narcissique de croire appartenir à la morale, s’en revendiquer, en être le bras armé. Mais qu’est-ce qu’une morale adossée à la haine ?
Ce mortel ennui devant ce qui était l’arme des révolutionnaires – l’indignation – devenue la monnaie courante de tous les frustrés de la terre, des médiocres, de ceux qui veulent exister mais n’ont d’autres moyens que de vomir des insultes, de confondre les plans, l’opinion, la justice, la rumeur, les faits, d’invoquer un nouvel ordre moral au lieu de faire de la politique.
Ce mortel ennui devant ces combattants des réseaux, qui prennent le risque suprême de descendre dans la rue masqués – le Covid-19 aura au moins fourbi les armes de la lâcheté – pour hurler des approximations et des contresens, avec le but avoué de détruire psychiquement et socialement des cibles qui sont toutes masculines, blanches et d’un certain âge, n’importe qui fera l’affaire. L’homme blanc occidental a exploité tant de monde, de cultures, et même la nature. L’homme blanc n’est pas un concept, puisqu’il est incarné par tous les hommes blancs, indistinctement. Le concept n’a plus lieu d’être, le symbolique est déchiré, anéanti, il n’y a plus de commun, pour ne pas dire d’universel, ce gros mot honni par les partisans identitaires.
Ce mortel ennui devant ces gens fiers d’eux, sûrs de leur bon droit, et qui crient. Crient pour tout, contre tout, enfonçant des portes ouvertes.
Devant les contempteurs de la domination masculine, blanche et occidentale, qui ont comme seul projet de renverser la domination, non pour un monde plus égal et construit sur un autre paradigme, mais bien pour substituer une domination à une autre.
Et l’art, dans tout ça ?
Ce mortel ennui devant l’orgasmique onanisme d’une colère pseudoféministe, quand des femmes sont encore excisées, quand des femmes sont encore lapidées, quand des femmes sont exploitées, quand des femmes gagnent moins bien leur vie que les hommes, se battent sur tous les fronts… Il faut respecter les différences culturelles, diront les nouveaux révolutionnaires, et reconstruire des murs. On se régale d’avance à la perspective de la convergence des luttes qui, à ce compte, ne peut aboutir qu’à de nouvelles frontières. Ennui mortel devant l’inconséquence des nouveaux maccarthystes.
Et que deviendra l’art, dans tout ça ? Des livrets de vertu qu’on distribuera au seuil des nouvelles églises ? Des éditoriaux pleins de bons sentiments mâtinés de haine rance de vieilles filles ? Des imprécations béni-oui-oui de néoromantiques exaltés par les combats sur Facebook ? Des œuvres théâtrales où l’on dira le catéchisme, le mal contre le bien, dont on voit vite les incarnations ? Des tableaux respectant la parité, homme, femme, Noir, Blanc, vieux, jeunes, handicapés, dans des champs de blé bio et des plants de tomates en permaculture ?
Mortel ennui. Et où mettra-t-on donc les déviants ? Car ils risquent de devenir très nombreux. Si la police des mœurs s’exerce comme l’appellent de leurs vœux les nouveaux parangons de vertu. Reste l’autocensure, l’intériorisation de l’interdit. Un nouveau vocabulaire est à disposition, et, pour les écrivains, on pourra toujours fournir un dictionnaire officiel des mots acceptables. La morale a aussi son mot à dire sur la culture. Dieu merci, morale et culture sont des substantifs féminins…
Avant même de mourir du réchauffement climatique, nous risquons de mourir d’ennui. Car nous avons prévenu nos enfants qu’ils auraient à se battre pour sauvegarder la planète. Mais leur avons-nous glissé qu’ils auraient aussi à affronter le mortel ennui qui s’abat sous le drapeau brandi d’une morale de la haine ? L’idée même de combat politique risque d’y succomber.

Mazarine Pingeot est agrégée de philosophie et autrice. Elle a notamment écrit « La Dictature de la transparence » (Robert Laffont, 2016) et « Se taire » (Julliard, 2019).

Publié le 28 juillet 2020 à 05h00 -mis à jour le 13 août 2020

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/28/mazarine-pingeot-ce-mortel-ennui-qui-me-vient_6047461_3232.html