samedi 19 décembre 2015

vendredi 16 octobre 2015

Dominique Rousseau : « Il faut construire une démocratie continue »

Une interview rafraîchissante de Dominique Rousseau, professeur de droit qui explore les nouvelles voies envisageables de la démocratie en partant du constat que notre démocratie représentative actuelle est une institution qui est morte a l'instar de Michel Serres qui utilise la métaphore de la lumière des galaxies qui continuent à nous parvenir alors qu'elles sont mortes depuis longtemps.

Dominique Rousseau : « Il faut construire une démocratie continue »

LE MONDE CULTURE ET IDEES | • Mis à jour le | Propos recueillis par
Dominique Rousseau est professeur de droit constitutionnel à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature et codirecteur de l’Ecole de droit de la Sorbonne depuis 2013. Dans son nouvel ouvrage, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, il formule des suggestions fortes et hardies pour sortir de la crise de l’Etat-nation. Entretien.
Pourquoi faudrait-il « radicaliser la ­démocratie » ?
Toutes les institutions sur lesquelles reposait jusqu’à présent notre société sont remises en cause. Le suffrage universel perd sa force légitimante du fait de l’abstention, les partis politiques n’ont plus d’adhérents, les syndicats ne représentent plus grand monde, le Parlement ne délibère plus. Mais ce n’est pas seulement une crise de l’Etat, c’est aussi une crise de la justice, de la médecine, de l’éducation, du journalisme, de la famille… Toutes ces institutions qui fonctionnaient sur des règles établies, routinières, s’interrogent en même temps. C’est cette coïncidence qui nourrit la crise actuelle. Il faut donc repenser toute l’organisation ­sociale. Radicaliser signifie revenir aux principes, à la racine de la chose démocratique, c’est-à-dire au peuple. Or le peuple a été oublié, il a été englouti par le marché – le consommateur a pris le pas sur le citoyen – et par la représentation : les représentants parlent à la place des citoyens.
La France est pourtant l’un des pays qui ont inventé la démocratie repré­sentative…
Oui, mais cette invention est un contresens ! Sieyès [1748-1836] l’a très bien dit : le régime représentatif n’est pas et ne saurait être la démocratie puisque, dans le régime représentatif, le peuple ne peut parler et agir que par ses représentants. Au fond, ce qu’on demande au peuple, c’est de voter, et de se taire. Mon propos est que le peuple vote et continue à parler afin d’intervenir de manière continue dans la fabrication de la loi.
Comment définissez-vous le peuple ?
Le peuple est défini par un accord sur le droit. Si l’on ne définit pas le peuple par les droits, comment le définit-on ? Par la race ? Par la religion ? Par le sang ? Le peuple n’est pas une donnée naturelle de la conscience, c’est une création artificielle – et le droit a un rôle déterminant dans cette création. On ne naît pas citoyen, on le devient. La marche du 11 janvier, après les attentats, le prouve fort bien. Le peuple a marché sur le slogan « Je suis juif, je suis musulman, je suis chrétien, je suis policier, je suis Charlie ». Ce qui fait le peuple, c’est le partage de la même conception du droit à la liberté d’expression, à l’égalité des différences. Nous sommes différents, et nous sommes égaux. C’est la reconnaissance de l’égalité par la reconnaissance des différences. On n’a jamais défini aussi bien la force du principe d’égalité. C’est cet accord sur le droit, ce bien commun, qui transforme la foule en peuple.
Que dire de ceux qui ont déclaré : « Je ne suis pas Charlie » ?
On le leur a beaucoup reproché. A tort : ceux qui n’ont pas respecté la minute de silence sont des jeunes qui n’ont pas accès aux droits – au logement, à la santé, au travail, à l’éducation. Ils se définissent alors autrement  : par les quartiers, la religion. Le peuple des « sans-droits » se construit par d’autres instruments qui fragilisent aujourd’hui le bien social.
Quelle différence faites-vous entre le peuple et la nation ?
La nation est un être abstrait, un concept. Le peuple, ce sont les individus concrets qui s’accordent sur le droit. Il faut construire une autre forme politique, ce que j’appelle la « démocratie continue », c’est-à-dire une autre façon d’entendre la représentation. La représentation, c’est une division du travail politique entre représentants et représentés. Il y a deux cas de figure. La « représentation-fusion » où le corps des représentés ­fusionne avec et dans le corps des représentants : elle caractérise le principe monarchique. En 1789, on a séparé le corps du roi des intérêts de la nation, mais on les a immédiatement recollés dans le corps législatif, celui des représentants, des élus, perpétué dans le principe étatique.
L’autre conception est la « représentation-écart », car la fusion est totalitaire. Il faut trouver des institutions permettant de maintenir l’écart entre le corps des représentants et celui des citoyens. Notamment par l’institutionnalisation d’un droit de réclamer pour les citoyens, d’un droit d’intervenir, de parler entre deux moments électoraux à côté, voire contre leurs représentants.
Vous proposez quelques remèdes ­hardis…
La « démocratie représentative » représente la nation, l’être abstrait, qui est à l’Assemblée nationale. Je propose, dans la lignée de Pierre Mendès France, de créer une assemblée sociale, à côté de l’Assemblée nationale, et qui représenterait les citoyens concrets, pris dans leur activité professionnelle, associative, et qui aurait un pouvoir délibératif, et pas simplement consultatif. Cette assemblée sociale serait l’expression du peuple de tous les jours, le peuple concret, qui n’a pas aujourd’hui de lieu pour s’exprimer. Lorsque, par exemple, dans une école, un gamin va être expulsé, les familles se mobilisent pour l’empêcher. Il existe une solidarité qui n’est pas visible, dont on ne parle pas. Que demandait le Tiers-Etat ? A avoir une assemblée à lui. C’est ce que je demande : que le peuple physique, de tous les jours, ait une visibilité institutionnelle.
Comment seraient désignés les membres de cette assemblée ?
Le débat reste ouvert. Soit dans un premier temps par les associations, les syndicats, les groupes représentatifs, soit par le suffrage universel, voire le tirage au sort. Dans les cours d’assises, n’importe qui, après un moment de désarroi, prend au sérieux sa fonction de juré et passe d’une conscience immédiate à une conscience plus élaborée. Ce qui transforme un individu tiré au sort en magistrat, c’est la délibération. On ne naît pas citoyen-juré, on le devient. Pour toutes les grandes questions de société, organiser des conventions de citoyens, tirés au sort, pour émettre un avis me paraît ouvrir sur le peuple de tous les jours cette possibilité de participer à la fabrication de la loi. Il faut renverser cette croyance que les citoyens n’ont que des intérêts, des humeurs, des jalousies et que la société civile, prise dans ses intérêts particuliers, est incapable de produire de la règle. Il y a de la norme en puissance dans la société civile.
Avec l’élection à la proportionnelle de l’Assemblée nationale, vous semblez vouloir en revenir à la IVe République…
Pas du tout. L’élection populaire du président de la République est un élément d’unité, de stabilité du système politique, qui oblige tous les cinq ans les partis politiques à se regrouper autour de deux grands pôles. C’est une première différence. La ­seconde, c’est que je propose que le mode de scrutin proportionnel soit accompagné d’un contrat de législature, c’est-à-dire qu’il y ait entre la majorité de l’Assemblée nationale et le gouvernement un accord sur le programme. S’il y a rupture du contrat, chacun retourne devant les électeurs. Le gouvernement tombe et l’Assemblée est dissoute. C’est un élément fort de stabilité qui conduit le gouvernement et sa majorité à un exercice responsable du pouvoir.
Et le président de la République ?
Il a un rôle d’arbitre. Dans tous les pays où le président est élu au suffrage universel, c’est le premier ministre qui gouverne  : Portugal, Autriche, Islande, Roumanie, Pologne, Irlande… Pour clarifier les choses, je propose que ce soit désormais le premier ministre qui préside à Matignon le conseil des ministres, là où se détermine et se conduit la politique de la nation.
Vous critiquez l’ENA…
Je propose la suppression de l’ENA et du Conseil d’Etat. Très utiles dans la période de construction de l’Etat, ils sont aujourd’hui un obstacle à l’expression de la société civile. Non pas qu’un pays n’ait pas besoin d’élites, mais elles sont en France formatées par une pensée d’Etat, élaborée à l’ENA. Chaque fois qu’une question se pose, on crée une commission et on y place à la tête un conseiller d’Etat, comme si les autres étaient incapables de réfléchir aux problèmes de société. La pensée d’Etat est aujourd’hui un élément du blocage de la société française.
Mes autres propositions : le contentieux administratif sera confié à une chambre de la Cour de cassation. Le Conseil d’Etat a été créé contre la Cour de cassation, il s’agissait d’interdire aux juges d’examiner les actes de l’administration. Il a progressivement fait évoluer sa jurisprudence pour ne plus donner cette apparence de juge spécial de l’administration protégeant l’administration. Cette double fonction, d’être à la fois conseiller du gouvernement et juge de l’administration, pose un problème au moins constitutionnel sinon politique.
Ce qui mène à revoir le rôle du ministère de la justice ?
Il faut en effet le supprimer. Les qualités d’un gouvernement et celles de la justice sont incompatibles. La justice doit être neutre, impartiale, objective, car un gouvernement est légitimement partial et partisan. Il faut donc sortir la justice du gouvernement pour confier la gestion du service public de la justice à une autorité constitutionnelle, le Conseil supérieur de la justice – et pas de la magistrature –, qui aura à prendre en charge le recrutement, la formation, la discipline des magistrats et le budget de la justice. On avait autrefois un ministère de l’information : on a sorti l’information du gouvernement pour la confier à une autorité constitutionnelle. Il y a bien aujourd’hui cette idée que la société peut se prendre en charge par d’autres moyens que la forme Etat.
Vous réhabilitez l’utopie ?
Mais oui ! L’utopie est ce qui fait accéder à la réalité qui vient. Ce dont on a besoin, c’est de montrer la forme politique qui arrive, même si elle n’existe pas, d’imaginer les mots et les institutions qui vont la faire ­vivre. Une société a besoin d’horizon. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est une société qui contourne ses institutions, créées au XIXe siècle, en inventant d’autres formes du vivre-ensemble.
On me dit  : « Si la société n’est plus gérée par l’Etat, elle va l’être par le marché ». Mais il suffit de penser à la chèvre de M. Seguin  : la chèvre, c’est la société, M. Seguin, c’est l’Etat. La chèvre était heureuse et tranquille avec M. Seguin, mais elle veut être libre  ; elle s’en va et se fait manger par le loup – le marché. On a tous en tête que si la société quitte l’Etat, le CAC 40 va la dévorer. Tout mon propos consiste à dire qu’on n’est pas condamné à cette alternative, et qu’il faut trouver les institutions qui permettent à la chèvre de M. Seguin de ne pas mourir au petit matin, mais de pouvoir parcourir tous les chemins de la liberté.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/04/23/dominique-rousseau-il-faut-construire-une-democratie-continue_4621570_3232.html#Y4X5vh3W1LFkbqFd.99

samedi 26 septembre 2015

Le Rhizome



« Le nouveau système pourrait être nommé rhizome. 

N’importe quel point d’un rhizome peut être connecté avec n’importe quel autre, et doit l’être. 

C’est très différent de l’arbre ou de la racine qui fixent un point, un ordre. 

Nous sommes fatigués de l’arbre.  

Nous ne devons plus croire aux arbres, aux racines ni aux radicelles, nous en avons trop souffert. » (...)

« Le rhizome ne se laisse ramener ni à l’Un ni au multiple. Il n’est pas fait d’unités, mais de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes. 

Il n’a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu, par lequel il pousse et déborde. 

À l’opposé d’une structure qui se définit par un ensemble de points et de positions, le rhizome n’est fait que de lignes. » (...) 

"Mille Plateaux" (1980) - G. Deleuze - F. Guattari
J'ai trouvé cet extrait dans le toujours excellent blog transit city. J'avoue ne pas avoir lu le livre mais je suis frappé par la puissance prospective de ce manifeste de 1980 (quand les citoyens pensaient encore changer le monde en votant Mitterrand...). 

La terre vu du ciel où le rhizome humain
J'y retrouve mon propre cheminement intellectuel et mes convictions politiques (peut être parce que je suis né en 1979) mais surtout une conceptualisation claire du monde tel qu'il émerge aujourd’hui. Ce monde que Michel Serres nous aide (petite poucette) ou ci dessous encore un extrait via transit city de son dernier livre "le gaucher boiteux"

(…) « L’ancien monde était construit de murs. Murs, villes et ports, asiles de morts …  
Ces murailles concentrées contenaient cent concentrations : de femmes et d’hommes, fermes ou villes; de grains, silos et greniers; de vins, caves et celliers; malades, cliniques et hôpitaux ; de voyageurs, hôtels et caravansérails ; d’argent, tirelire, banques, trésor, capitaux ; d’eau, barrages et carafes ; d’étudiants, de professeurs, écoles maternelles et universités ; de condamnés, prisions  de livres, libraire, bibliothèques ; d’électricité, piles et les biens nommés accumulateurs … 
J’arrête cette liste, nous ne connaissons que des boîtes» (…) 
(…) « Nous n’avons jamais cesser de cristalliser les flux, de transformer une foule éparse en dix institutions ; nous n’avons jamais cessé de capitaliser, de transformer la cueillette en champ de blé, la chasse en basse-cour, écurie et grange, la rivière en biefs et barrages, le ciment et le sable en muraille, en classes rangées les jeux d’enfants, l’amour en mariage, la foule enfin en villes, armées, tribunaux, prisons et royaumes. » (…) 
(…) « Notre société va ressembler à un tourbillon de flux : envoyés, passagers dans les gares et les aéroports, informations, données subtiles, monnaie volatiles … » (…) 
(…) « Jadis et naguère, nous vivions concentrés ; nous existons distribués désormais, comme flux parmi les flux, alors que nous vivions encaqués dans des boîtes … 
Il n’y a plus de boîte, il n’y a plus de caque, il n’y a plus de mur. 
Un maire ou un ministre inauguraient des bâtiments ; il n’y a plus de bâtiments, il n’y aura plus de maire ou de ministre. » (…) 
(…) Formés à la dureté, nous trouvons aujourd’hui difficile, parmi la fluidité sociale, d’imaginer des institutions, une organisation sociale adaptées à l’âge doux. (…)
Michel SERRES - « Le Gaucher boiteux » - ed. Le Pommier







 

Michel Serres: pour inventer et créer, il faut savoir zigzaguer et privilégier les bifurcations.





Le dernier opus de Michel Serres "Le gaucher boiteux" toujours aussi rafraîchissant quand nos pseudo intellectuels français (Regis Debray, Alain Finkelkraut) donnent dans le ronchon et le "c'était mieux avant". Une interview pour un journal suisse ci dessous est une ode à la bifurcation, à l'appréhension d'un regard simple et ouvert la technique, la philosophie et de la littérature pour comprendre et s'enthousiasmer avec son regard émerveillé le monde qui change. 

 
"Vous vous décrivez physiquement et intellectuellement comme un «gaucher boiteux»… Créer, selon vous, impose de ne pas aller droit?
La route qui mène à Genève va toujours à Genève! Si vous la suivez, vous n’inventerez rien. Le but de votre voyage sera le projet de votre voyage. Un vrai voyage, c’est celui qui enseigne autre chose que ce qui était prévu. Il faut bifurquer, pour créer et découvrir. Pensez à Christophe Colomb.

Si vous interrogez les découvreurs sur la manière dont ils ont procédé, la plupart du temps ils ont découvert ce qu’ils ne cherchaient pas. La recherche scientifique, aujourd’hui, est très orientée. Ce n’est pas ainsi qu’on invente. La véritable découverte est imprévue.

C’est pour cela que vous aimez la foudre, qui zigzague. Vous y revenez souvent dans votre texte. Mais la foudre peut aussi tuer…
Vous n’avez jamais eu le coup de foudre pour une personne? (Sourire.) C’est de cela qu’il s’agit! L’invention tombe, on ne sait pas d’où elle va venir, ni quand. Elle a quelque chose d’aveuglant. Vous savez, une réelle invention ne se voit jamais. On met longtemps à la reconnaître.

Prenez Newton, qui découvrit l’attraction universelle. Toutes les académies des sciences ont refusé cette découverte pendant cent cinquante ans. Cette nouveauté était si forte que personne ne l’a vue. Quant aux orages, j’en ai vécu de très sérieux, j’ai même été porté disparu six jours en mer, lorsque je naviguais dans la Marine nationale.

Gouverner, cela veut dire cela: manœuvrer le safran du gouvernail. Faire des zigzags. Penser, c’est bifurquer.

La première chose qui marque, en vous lisant, c’est le style. Vous êtes autant écrivain que philosophe?
Il n’y a pas beaucoup de frontière entre la philosophie et la littérature, en langue française. C’est pratiquement unique dans l’histoire. Sauf chez Platon. Nous sommes les héritiers de Diderot, Voltaire, Bergson, qui tous avaient le souci de la forme. Mais j’essaie aussi d’oublier la technicité abrupte pour me couler dans la langue courante.

Les idées sont là, au second plan. Mais, au premier, il faut que ce soit souriant, accueillant. La technique est là. Seulement, on ne la fait pas voir…

Ce qui séduit ensuite, c’est votre esprit de synthèse. Vous tracez les lignes d’un «grand récit» pour replacer l’humain dans le cosmos…
Penser, c’est être en lien avec le cosmos. Comme je l’ai écrit, le monde ne nous environne pas, il nous construit de part en part. La science nous offre un grand récit bifurquant, qui va du big bang jusqu’à nous. Les scientifiques en sont tous, en commun, les auteurs. Alors que le postmodernisme avait annoncé la mort définitive de tout récit englobant…

Vous voulez nous rappeler que nous avons aussi un corps. Que, sans le corps, «l’intelligence reste bête et lourde»…
J’ai souffert de la séparation dramatique entre les scientifiques et les littéraires. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai beaucoup de collègues ronchons: ils sont coupés du monde moderne parce qu’ils ne connaissent pas la science. Les nouvelles technologies pourraient, par leur culture en réseau, favoriser des échanges transdisciplinaires. J’insiste beaucoup sur ces traversées, dans mon livre. L’analyse n’est pas très intéressante, c’est la synthèse qu’il faut rechercher.

Nous entrons dans une nouvelle civilisation?
«Civilisation» est un grand mot. Mais il y a une bascule de culture aussi importante que celle qui avait eu lieu au moment de l’invention de l’écriture. Entre le moment où on ne faisait que parler et celui où l’écriture s’est imposée. Socrate méprisait l’écriture.


Et Platon, lui, écrivait. Lorsque l’écriture est arrivée, tout a changé: la science, la géométrie, le droit, la paidéia (les sciences de l’éducation, ndlr), etc. De même avec l’invention de l’imprimerie. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, nous vivons une troisième révolution.

Le livre papier va disparaître?
Je vais vous raconter une histoire pour vous amuser. Je suis un ancien marin et me suis intéressé à l’évolution de la marine. Il est arrivé, au début du XXe siècle, un événement considérable: la voile a été concurrencée par la machine à vapeur. Imaginez: nous sommes en 1920, tous les deux, et discutons de l’avenir de la marine.

Nous sommes d’accord pour dire que la voile, c’est fini. Aujourd’hui, en 2015, visitons tous les ports du monde: nous y trouverons dix fois plus de voiliers que de bateaux à moteur. Notre pronostic de 1920 était absolument certain, mais complètement faux. Le livre papier, que voulez-vous que je vous dise? Il est certain qu’il va mourir, mais comme la voile!

Beaucoup de vos confrères sont «ronchons» (Alain Finkielkraut, Eric Zemmour), alors que vous, vous êtes émerveillé!
Ce n’est pas la peine de pleurer sur un monde disparu. Je ne peux pas faire autrement que de vivre dans ce monde. Il est devant moi, il faut que je le pense, que je sois lucide sur lui, pour aider mes enfants, mes étudiants, les générations futures. La philosophie veut dire sagesse. Sagesse, pour moi, veut dire sage-femme.

Etre l’accoucheur du monde futur. Je suis une sage-femme! Les ronchons disent volontiers: avant, c’était mieux. Ça tombe bien, parce qu’avant, j’y étais! Eh bien nous étions gouvernés par Franco, Mussolini, Lénine, Staline, Mao, Pol Pot, Hitler, etc. Rien que des braves gens qui nous ont coûté 150 millions de morts.

Nous vivons depuis soixante-dix ans en paix. C’est unique dans l’histoire. Je suis très content de vivre dans ce temps. Mon optimisme est un optimisme de combat. Bien sûr, notre époque est mouvante, tourbillonnaire. Ceux qui sont angoissés, c’est parce qu’ils n’ont ja- ja- jamais navigué (il reprend la mélodie de la chanson Il était un petit navire et rit).

Une époque nouvelle impose de réinventer les institutions et la politique. La France est-elle capable de le faire?
Ce qui m’a beaucoup frappé, en janvier, c’est la manifestation qui a suivi les attentats de Charlie Hebdo. Elle avait trois caractéristiques: premièrement, elle était silencieuse. Deuxièmement, elle n’était ni pour ni contre une décision ou une personne. Enfin, les gens, en disant «je suis Charlie», disaient simplement «je suis». Avant, on ne disait pas «je suis».

On disait «nous sommes». C’est une nouveauté d’une morale sociale inédite. Nous avons assisté à une triple bifurcation historique. C’est infiniment rare d’être en présence d’une invention sociopolitique. J’ai pleuré d’émotion devant une telle nouveauté.

La France s’est réinventée à cette occasion. On peut inventer la tarte Tatin par erreur, mais se réinventer soi-même, c’est encore plus fort.

Vous qui avez traversé des décennies, n’avez-vous pas l’impression d’avoir vécu une succession de crises?
Oui, une crise perpétuelle. Le nouveau monde était sans cesse en train de percer.


En quoi consiste notre humanité? Dans cette inadaptation de base au monde?
Le terme humanité a deux sens: il désigne la collectivité humaine d’un côté, et la bonté, le fait de faire un acte d’humanité de l’autre. Je choisis plutôt le second sens.

Soixante livres, et autant de bifurcations intellectuelles, dessinent une pensée très cohérente. Qu’en pensez-vous, avec le recul?
C’est un parcours assez bifurquant, en effet. Mais je ne suis pas responsable. Quelque chose en vous se met en route et vous fait écrire des livres. Je n’y peux rien. Ce n’est pas moi qui les ai faits, ces livres. En tout cas, c’est davantage l’enfant que j’étais, celui qui naviguait sur la Garonne, celui qui a fait l’expérience de la nature et a été mû par l’univers, qui les a écrits. Pas le professeur.


samedi 25 juillet 2015

La première photo complète de la Terre depuis 1972 - Le Monde .fr


La première photo complète de la Terre depuis 1972

D'autres images montraient notre planète en entier depuis, mais il s'agissait de clichés construits avec une multitude de photos prises par différents satellites.
| 22.07.2015 à 15:48

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DSCOVR/NASA
Il ne s'agit que de la deuxième photo jamais prise où la Terre apparaît de son côté ensoleillé, et dans sa totalité. La première, prise en 1972 par les astronautes de la mission Apollo 17, avait été baptisée "The Blue Marble" ("La Bille bleue"). Celle que la NASA vient de dévoiler n'a pas encore de nom mais n'en est pas moins belle (voir ici pour une version extra-grande).
Elle a été prise par le Deep Space Climate Observatory (DSCOVR), un satellite lancé en février et qui, après un trajet d'1,6 million de kilomètres, a pu immortaliser notre planète avec un appareil spécialisé, le Earth Polychromatic Imaging Camera (EPIC).
On a vu notre planète en entier sur bien d'autres images depuis 1972, mais il s'agissait, rappelle la NASA, d'images composites, des clichés construits avec une multitude d'images prises par différents satellites et "cousues ensembles". C'est le cas des celles-ci.
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Maintenant que le DSCOVR est arrivé à destination, les équipes de la NASA s'attendent à recevoir de nouvelles images de la Terre tous les jours, "de 12 à 36 heures après qu'elles ont été prises par EPIC". Ces images seront mises en ligne gratuitement sur un site dédié à l'automne.
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"La Bille Bleue", réalisée pendant la mission Apollo 17, en 1972.
En attendant, vous pourrez relire les mots d'Eugene Cernan, un des astronautes de la mission Apollo 17 derrière "The Blue Marble" :
"Quand vous êtes à 250 000 miles (environ 400 000 km) de la Terre et que vous la regardez, elle est très belle. Vous pouvez voir la circularité. Vous pouvez voir du pôle Nord au pôle Sud. Vous pouvez voir à travers les continents. Vous recherchez les ficelles qui la tiennent, un quelconque point d'appui, et ils n'existent pas. Vous regardez la Terre et autour, l'obscurité la plus noire que l'homme puisse concevoir."

Sur les murs de Paris

  


  

  

  

 

 

vendredi 5 juin 2015

Art Melody



Très bon concert hier à l'alimentation générale d'Art Melody, rappeur de Ouagadougou. Un flot énervé sur des morceaux taillés dans le roc et une présence scénique impressionnante.


Le lien


J'en profites pour faire une dédicace au crou bergeracois et Guibou qui avec, le label Tentacule Records, ont mouillé la chemise pour produire Art Melody.

http://www.tentaculerecords.com/

Un article à venir sur ce label enthousiasment.