samedi 8 décembre 2018

Lettre ouverte à mes amis de gauche sur la question environnementale, le mouvement des gilets jaunes et la question de la convergence des luttes


Sur le mouvement des gilets jaunes, je soumets mon analyse et mon point de vue car je suis désespéré devant le débat médiatique actuel. Je suis profondément déçu par les prises de positions des intellectuels et entités politiques que j’estime. A mon sens, la question est mal posée et ce qui devrait être une dialectique entre les enjeux environnementaux et la question de l’aménagement du territoire et les leviers à disposition du politique devient un débat sur le social et le pouvoir d’achat. On me dit que l’augmentation du prix du gasoil est juste l’étincelle et que le problème est ailleurs, je pense au contraire que c’est révélateur de ce mouvement. La première conséquence du mouvement des gilets jaunes est la suppression de la taxe carbone. Le seul point que l’on peut entendre est que la légitimité de tout régime en place est le consentement à l’impôt. Pour le reste, l’exercice intellectuel des gens de gauche qui soutiennent les gilets jaunes consiste à essayer de marier intellectuellement Jacques Ellul et Pierre Poujade, je ne me risquerais pas à cette contorsion coupable... Je voulais rappeler quelques points qui me semblent important et dont malheureusement personne ne parle. 

·      L’économie de marché et la question de la ressource

Je pensais que la pensée écologiste avait fait plus de progrès depuis quelques décennies mais je m’aperçois que les convertis sur le tard ont des vieux réflexes de société industrielle des 30 glorieuses. Si le 19ème siècle a permis d’analyser et théoriser la lutte contre l’exploitation de l’homme par l’homme, il reste un grand vide sur la question de l’exploitation de la nature par l’homme. On retrouve ce vide dans l’équation économique en vigueur depuis cette époque où le profit est un produit du capital et du travail (P=f(K,W)). Cette équation ne prend pas en compte la dimension pourtant essentielle de la ressource physique et l’équation devrait être P=f(K,W,R). Pour la ressource, on paye le cout d’extraction et éventuellement la dime aux États où se trouvent ces ressources. Ce qui n’était pas un enjeu à une époque où nous avions une nature abondante et une population rare en devient un depuis le siècle dernier où la population est devenue abondante et la nature rare. Introduire dans la fiscalité cette dimension de prix est une manière de palier à ce manque. On me dit que la taxe carbone n’est pas une taxe égalitaire car elle touche indistinctement les pauvres et les riches. C’est vrai dans une dimension sociale, c’est faux d’un point de vue environnemental. Ou alors à dire qu’une tonne de CO2 émise par un pauvre est moins grave qu’une émise par un riche. C’est l’orientation qui a été prise au niveau mondial où les pays les moins avancés n’ont pas de limitation en termes d’émissions dans les accords internationaux. Posons nous la question en France de cette manière si on veut mais on ne me fera pas croire que la question sociale est aussi critique entre le Bénin et la Meurthe et Moselle. En France, cela veut simplement dire que ceux qui sont sobres en carbone, soyons fous, qui roulent à vélo, ne sont pas touchés par la taxe carbone.  
  • La dépendance au pétrole  

On voit aujourd’hui que l’ensemble de l’économie et manifestement de la survie des gens d’après les gilets jaunes repose sur une énergie fossile épuisable donc pas résilient. J’ai de la chance d’avoir des enfants, on parle de la fin du pétrole pour 2050, ça se décalera surement dans le temps mais pour rappel mon fils de 5 ans en aura donc 37 ans à cet horizon et sera dans la force de l’âge, celui de 2 ans aura 34 ans. C’est aussi une énergie qui pollue au niveau local (pollution de l’air) et global (climat), encourager de fait la dépendance au pétrole est donc aussi une dégradation de grande ampleur de l’écosystème local et planétaire. Sur le plan du système économique et de la lutte contre l’ultralibéralisme, la production de pétrole est contrôlée par les pires des multinationales, héraut du néo liébralisme le plus débridé. De manière corollaire, c’est aussi la source de conflits et tensions géopolitiques catastrophiques. La quête du contrôle des ressources pétrolières a déclenché les pires conflits récents et sèment le chaos ou la désolation dans toutes les zones de production. 

La taxe carbone est une tentative réelle et efficace à court terme (à mon avis), moyen et long terme (j’en suis sur) pour donner un prix dissuasif à cette énergie et s’autonomiser de notre dépendance au pétrole. Le système capitaliste a des défauts mais il a un gros avantage, les acteurs économiques vont adapter leur comportement au signal prix pour … maximiser les profits (pas par soucis de la planète). Pour les ménages, c’est la même chose à moyen terme. En termes de politique fiscale, la taxe carbone a été mise en place en … 2014 par un gouvernement socialiste et la trajectoire croissante des prix du carbone est annoncée (pour se donner des ordres de grandeur j’ai pris ma calculette). 

On paye aussi au prix fort l’abandon de l’écotaxe qui avait pour ambition de taxer le fret routier pour financer le développement des transports en commun « un échec stratégique et un abandon couteux » selon la cour des comptes il est intéressant de voir sur l’infographiecomment le manque à gagner a été basculé sur les particuliers.  
  • La dimension mobilité individuelle  

La mobilité individuelle motorisée n’est pas un droit. Si je caricature, dans le cas contraire, tout le monde aurait droit d’aller sur la lune en vacances avec sa navette. On a la technologie mais le cout est dissuasif et heureusement. Sur les trajets du quotidien, la mobilité est une nécessité, mais que celui qui affirme que chacun a droit à une voiture se regarde dans le miroir et pense au delà de son petit périmètre pour imaginer ce qui se passerait si les 7 milliards d’humain avait chacun une voiture (mise à part si il travaille chez un constructeur automobile). Pour ceux qui vantent le collectif et la solidarité comme moi par opposition à l’ultralibéralisme individualiste, on ne peut pas encourager l’individualisation des solutions de mobilité motorisées. Et puisque personne n’en parle je le fais, développons les transports en commun, cela a un coût pour la société ce qui justifie certaines taxes. 
  • Les effets sur l’aménagement des territoires 

On nous dit que des gens se retrouvent "obligés" de prendre leur voiture. La raison en est que depuis des décennies, l'énergie peu chère et la prédominance de l'automobile ont conduit à un étalement urbain. Cet aménagement du territoire est une impasse écologique, sociologique et politique. Cela se traduit aussi en termes de mixité sociale, en encourageant l’étalement urbain, on ajoute au manque de mixité sociale déjà flagrante dans notre société une dimension géographique qui se traduit d’ailleurs dans la géographie du vote. 

Dans mon territoire d'origine, Bergerac, en 20 ans on a vu les centres se dévitaliser, les commerces de proximité s'effondrer face au développement de zones commerciales périphériques surdimensionnées et la campagne se couvrir de véritables imitations de mas provençaux à bas cout. C’est aussi une catastrophe en termes de consommation d’espace et de perte de terres agricoles sans parler de la dimension patrimoniale quand on voit les entrées de villes. Si on pense, comme moi, que l'enjeu environnemental devient critique, il faut se demander comment faire évoluer notre modèle de développement économique, urbain, périurbain et rural. 

Agir sur le prix de l'énergie est un levier important pour changer les comportements, la stratégie d'implantation des ménages, l'organisation du travail. Il ne faut pas réfléchir toutes choses égales par ailleurs mais repenser le paradigme. On a beau jeu de parler de ceux qui ont "absolument besoin d'une voiture", prenons au mot et regardons chaque situation. On trouvera des mesures adaptées car pour une infirmière qui a besoin de se déplacer en milieu rural, on ne va pas justifier de l'énergie peu chère pour tous. Pour les autres, il faut aussi assumer ses choix. Dans cet article du monde, ce ménage est allé s'installer au milieu de rien, a installé son activité économique à 35 km de chez eux et viennent aujourd'hui nous dire que le coût du transport est insupportable. Sur la question de la ruralité, parlons en c’est un vrai enjeu, mais ne confondons pas avec le phénomène du périurbain. La vie rurale, c’est le modèle de l’agriculteur qui travaille sur place de travailler ou des personnes qui travaillent dans une petite ville. Pour ceux là, l’augmentation du carburant est de faible conséquence car ils ne font pas beaucoup de kilomètres. La question de la ruralité repose à mon sens sur une relocalisation des emplois.   

En termes de solutions, il ne faut pas remonter très loin dans le temps pour envisager des modèles pertinents, à Paris, il y avait 1000 km de tramway au début du 20ème siècle. Le train couvrait l'ensemble du territoire et on avait jusqu'à pas longtemps encore des commerces de proximité (ma grand mère n'a jamais eu de voiture et vivait dans une petite ville de 2500 habitants). Plutôt que faire des lotissements en deuxième ou troisième périphérie, essayons de densifier autour des axes de transports et des gares. Sur la question du prix de l'immobilier, je suis un privilégié qui a les moyens de s'acheter un appartement dans Paris mais je vis à 4 avec ma petite famille dans 62 m2. Il y a aussi des choix de vie sous jacent et c'est important que chacun ait conscience de l'impact sur la planète qui y sont liés (et je ne suis pas exemplaire non plus loin de là). En parallèle de ceux qui nous explique qu’ils n’ont pas le choix que de ce mettre loin, c’est surement vrai pour les grandes métropoles (mais qui ont des transports en commun) mais c’est faux pour les villes petites et moyennes où les centre ville sont désertés.   
  • La dimension politique 

Les opposants de tous bords sont trop heureux de porter des coups sur le gouvernement Macron, c’est de bonne guerre. Premier point, comme mentionné plus haut, cette taxe a été votée en 2014 par un gouvernement socialiste et ne fait justement pas parti de la politique fiscale du gouvernement en faveur des plus aisés. N’oublions pas que le mouvement des gilets jaunes est né d’un fan de tuning qui pour ses loisirs fait tourner des grosses cylindrées, des néo poujadistes qui demandent qu’on les laisse polluer tranquillement, d’une certaine Jacline Mouraud qui avoue dépenser 300 euros par mois en gazole* et qui fait des vidéos sur les apparitions ectoplasmiques. On se rappelle que lors de la première journée de manifestation des gilets jaunes, les manifestant ont livré aux autorités les migrants clandestins.  

J’affirme ici que l’on ne peut pas envisager une convergence des luttes car il y a un problème fondamental de  valeurs. Egalement que la convergence des luttes ne doit pas se faire sur le dos de l'environnement et climat. Ou alors dire que l’on va s’allier avec Donald Trump qui s’est fait élire en se posant comme défenseur des classes moyennes blanches américaines oubliées par la mondialisation (ça vous rappelle quelque chose?). Nous pouvons aussi sortir de l’accord de Paris, relancer le développement des armes nucléaires, autoriser les gaz de schistes, devenir un paradis fiscal et sortir de l’UE en érigeant des barrières tout autour de la France. Attention à ouvrir la boîte de pandore, les révoltes populaires peuvent donner le meilleur comme le pire. N’oublions la montée du fachisme en Europe dans les années 30. Que des intellectuels de premier plan flattent les gilets jaunes en mettant en avant la convergence des luttes, en jouant un jeu à plusieurs bandes au devenir incertain et hasardeux, je ne peux le cautionner. 

Si l’enjeu est de lutter contre les inégalités et les dérives du système néo libérale, le faire sur le dos du climat et en faveur du pétrole est de loin la plus mauvaise des options. Si je prends au mot la tribune publiée par Attac  sur le basculement de la taxe carbone sur les entreprises les plus polluantes, je poserais la question sous l’angle économique. La suppression de la taxe carbone est elle le moyen le plus efficace de lutter contre les inégalités sociales? Je suis sur que non. Est ce que c’est en s’interdisant de réguler les prix de l’énergie (à la hausse dans ce cas) que l’on va lutter contre le libéralisme? Cela revient à nier le levier de la fiscalité en faveur de l’écologie qui, avec le réglementaire reste, un des meilleurs levier de l’action publique. Sur les entreprises les plus polluantes, c’est un sujet important, mais… malheureusement en France se désindustrialise  et c’est le seul secteur où les émissions ont réellement déclinée (source ici ). Le propos est très juste mais à l’échelle globale, pas nationale.    

Dans tous les cas, le résultat à court terme est l’abandon de la taxe carbone, si ce n’est pas la mère des batailles en faveur de l’environnement, c’est une défaite cuisante. 

Je précise ici que je suis ce que certains appellent un « privilégié bobo du 10èmepart d’une élite socio culturel », que je viens d’un vrai milieu rural, mon père était paysan, que je suis ingénieur urbaniste et que je travaille dans le domaine de la mobilité pour les transports en commun au sein d’une agence de l’Etat en faveur du développement. Je voyage beaucoup pour le travail en prenant l'avion. Mon employeur compense les émissions même si c'est loin d'être parfait. Je suis un militant antivoiture de longue date et d’ailleurs je n’en ai pas. Je n’ai pas honte de mon mode de vie qui n’est pas parfait loin de là. On va me dire que je suis déconnecté des réalités du quotidien des français, je répondrais que si personne ne lève la tête de temps en temps et pense global, on ne va que continuer à aller dans le mur. Et qui si la réalité des français c’est de défendre leur voiture, alors je considère que c’est une impasse et que c’est un mauvais combat. 

mardi 4 décembre 2018

Quelques chiffres


Petit calcul de coin de table pour savoir de quoi on parle en fonction du nombre de km par jour. 


Budget / Mois en fonction du trajet moyen / jour
 Prix l Gazole Euros60 km20 km10 km
2012               1,42 €           163 €             54 €             27 € 
2014               1,30 €           150 €             50 €             25 € 
2016               1,09 €           125 €             42 €             21 € 
2018               1,45 €           167 €             56 €             28 € 
2020               1,55 €           178 €             59 €             30 € 
2022               1,65 €           190 €             63 €             32 € 
Différentiel 2012 / 2022            26 €               9 €               4 € 
Différentiel 2016 / 2022            64 €             21 €             11 € 


(source prix du carburant https://france-inflation.com/prix-carburants.php, consommation moyenne 6,39 l au 100 km  https://france-inflation.com/prix-carburants.php) 

% budget mensuel en fonction de la distance
SMIC Net Euros60 km20 km10 km
       1 108 € 14,7%4,9%2,5%
       1 145 € 13,1%4,4%2,2%
       1 162 € 10,8%3,6%1,8%
       1 187 € 14,0%4,7%2,3%
       1 213 € 14,7%4,9%2,5%
       1 238 € 15,3%5,1%2,6%
 Différentiel 2012 / 20222,1%0,7%0,4%
 Différentiel 2016 / 20225,2%1,7%0,9%

(source INSEE pour le SMIC) 

Conclusions, je laisse juge. Mais il faut faire plus de 60 km par jour pour être sur des montants significatifs en termes de couts liés au carburant.